Dans cette tribune, Joël Hazan et Thibault Genouville, tous les deux associés au Boston Consulting Group (BCG), explorent les promesses à court terme des non-fongible tokens pour le marché des jeux vidéo.
Des images de squelettes décadents, de singes ridés et de « crypto punks » pixelisés valorisées plusieurs dizaines de millions d’euros ? Difficile de rationaliser la tendance actuelle autour du phénomène des NFT (non-fongible tokens). Pourtant, derrière ces actifs digitaux à l’apparence parfois subversive s’agite le spectre d’une révolution qui pourrait venir bouleverser de très nombreux secteurs.
Les NFT introduisent les concepts de rareté et de propriété dans un monde numérique jusqu’alors dominé par l’abondance et la copie. Des images et vidéos dont le nombre de répliques était potentiellement infini, et la valeur par conséquent proche de zéro, peuvent à présent être authentifiées et échangées grâce à la blockchain.
Une fois enregistrée sur cette dernière, toute création digitale devient une œuvre unique, avec une valeur propre. Les derniers chiffres d’Opensea, principale plateforme d’échange de NFT, illustrent l’ampleur du phénomène. En août 2021, 3,4 milliards de dollars y ont été échangés ; c’est sept fois plus que les ventes mensuelles réalisées en 2020 par Sotheby’s, institution du marché de l’art établie depuis plus d’un siècle. Cette croissance exponentielle s’explique en partie par la spéculation et la hausse du prix des crypto-monnaies nécessaires à l’achat de NFT. Leur valeur est donc structurellement sujette à une forte volatilité. Néanmoins, il y a fort à parier que cette révolution constitue un changement de paradigme bien au-delà du seul marché de l’art.
Nous pensons que la prochaine vague concernera l’univers du gaming. Depuis des décennies, les jeux vidéo offrent la possibilité d’évoluer et d’interagir dans des environnements virtuels. En croissance depuis plus de vingt ans, le temps consacré aux jeux vidéo par les 15–24 ans a bondi de près de 60 % lors des confinements successifs.
En rendant possible la propriété dans un environnement virtuel, les NFT pourraient permettre de révéler un potentiel jusqu’ici sous-exploité. Chaque jeu vidéo met en scène des personnages, des véhicules ou des mondes qui ne reposent, pour l’heure, sur aucune valeur réelle puisqu’ils ne peuvent pas être revendus ou utilisés en dehors de ce cadre. Une fois enregistrés sur la blockchain, ces actifs pourront être authentifiés et échangés ; ils disposeront dès lors d’une valeur propre. Les NFT ouvrent ainsi la voie à la création de véritables marchés secondaires, au sein desquels les éléments virtuels qui composent un jeu pourraient être échangés en continu. Ce qui faisait jusqu’alors office de distraction deviendrait ainsi une véritable source de revenus.
Le phénomène Axie Infinity illustre cette nouvelle tendance du play-to earn. Développé au Vietnam, ce jeu permet d’élever des petites créatures qui peuvent être échangées sous forme de NFT. Alors que plus d’un milliard de dollars ont déjà été échangé via le jeu et que des milliers de personnes en font désormais leur source de revenu principale, ce succès est loin d’être un cas isolé. En France, la start-up Sorare, qui permet d’échanger des cartes Panini à l’effigie de footballers sous forme de NFT, vient de boucler une levée de fonds de 580 millions d’euros, la plus importante de l’histoire de la French Tech.
Si ce changement de paradigme rend l’univers du gaming plus attractif que jamais pour les joueurs et les investisseurs, il constitue également une formidable opportunité pour les studios. D’une part à travers la mise en vente d’actifs spécifiques à leurs jeux. Il pourrait s’agir de joueurs sur Fifa, d’armes sur Call of Duty ou encore de véhicules sur Mario Kart, que chaque joueur possèderait tout en pouvant les revendre à d’autres individus. De ce point de vue, les possibilités semblent infinies pour des éditeurs comme Activision Blizzard ou Ubisoft, disposant déjà de marques puissantes et de communautés établies.
D’autre part, il s’agit également d’une opportunité à travers la gestion de plateformes d’échange de ces mêmes actifs. Prélever une commission sur chaque transaction devrait permettre aux studios de considérablement augmenter et diversifier leurs revenus. Alors que les achats in-game représentent aujourd’hui 16 % du marché des jeux vidéo, les NFT pourraient en faire la première source de revenus dans un futur proche.
Les principaux éditeurs, qui possèdent déjà des marques puissantes et des communautés engagées, disposent d’un potentiel immense que les NFT pourraient ainsi révéler. Il ne tient qu’à ces derniers de s’en saisir pour faire entrer le monde du gaming dans une nouvelle dimension.
Les NFT, nouvel Eldorado du jeu vidéo - Usbek & Rica
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