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Wednesday, March 2, 2022

Le T. rex ne serait plus l’unique espèce de tyrannosaures - National Geographic France

Les fossiles de tyrannosaures peuvent varier sensiblement les uns des autres, particulièrement en ce qui concerne la dimension du fémur. Certains squelettes sont dotés de fémurs plus trapus et robustes, tandis que d’autres ont des os plus fins, plus « graciles ». Il y a quelques années, des paléontologues avaient également remarqué que certains crânes de tyrannosaures possédaient des paires d’incisives ciselées sur la mâchoire inférieure, alors que ce n’était pas le cas pour d’autres.

L’étude dont il est question dans cet article s’appuie sur un ensemble de mesures effectuées sur 37 squelettes de tyrannosaures, avec une attention particulière portée aux fémurs et aux dents de la mâchoire inférieure. Gregory Paul et ses collègues ont également recensé l’endroit où 28 de ces spécimens ont été découverts dans la formation de Hell Creek : en bas, au milieu ou en haut. Plus la couche sédimentaire est basse et profonde, plus les fossiles sont anciens.

Pour établir des comparaisons, l’équipe de Gregory Paul s’est procurée des ensembles de données concernant d’autres dinosaures prédateurs, notamment plusieurs autres tyrannosaures ainsi qu’un dinosaure plus ancien, l’allosaure. D’après leurs analyses, la taille des os varie davantage chez Tyrannosaurus que chez tout autre dinosaure examiné.

L’équipe a également découvert que le groupe présent dans la couche la plus profonde et la plus ancienne de la formation de Hell Creek était doté d’un squelette robuste et de deux paires de dents ciselées. Toutefois, les fossiles contenus dans les couches plus récentes se divisaient en deux groupes distincts. Dans chaque groupe les dinosaures étaient dotés d’une seule paire de dents ciselées, mais un des deux groupes avait un squelette plus robuste, tandis que l’autre avait des os plus filiformes et plus graciles.

Selon Gregory Paul et son équipe, les différences sexuelles entre tyrannosaures mâles et femelles ne sauraient expliquer ces variations au fil du temps. Ils excluent également qu’il puisse s’agir de dissemblances particulières ou de stades de croissances différents. On pourrait plutôt selon eux interpréter chaque groupe comme étant une espèce propre.

Ils placent le légendaire Tyrannosaurus rex, espèce définie à partir d’un squelette exposé au Musée Carnegie d’Histoire naturelle, dans le groupe « robuste et jeune » et lui laissent son nom de T. rex.

L’équipe nomme le groupe le plus ancien T. imperator et propose Sue, le célèbre tyrannosaure du Musée Field d’Histoire naturelle de Chicago, comme holotype de l’espèce. Pour définir T. regina, contemporain gracile de T. rex, les chercheurs se sont servis d’un squelette du Musée national d’Histoire naturelle à Washington.

LES BRUMES DE LA PRÉHISTOIRE

L’institution de ces nouvelles espèces de tyrannosaures dépendra de la validité des ensembles de données de l’étude ; dont les spécialistes externes disent qu’ils ne sont pas aussi solides qu’ils le voudraient.

D’autres études récentes n’ont pas constaté cette répartition, et plus particulièrement une analyse des différents stades de la vie du T. rex publiée par Thomas Carr en 2020. Dans le cadre de son étude, Thomas Carr a mesuré et analysé 1 850 traits squelettiques individuels. Il n’a rien découvert qui permette d’affirmer que Tyrannosaurus ait eu une forme différente selon le sexe et n’a pas observé de dissemblances claires qui pourraient se justifier par l’existence d’espèces distinctes. « Si ces taxons existaient réellement, je les aurais retrouvés », indique-t-il.

Lindsay Zanno ajoute que l’étude ne s’est pas servie des coupes transversales des os pour déterminer l’état de chaque tyrannosaure au moment de sa mort. Cela signifie que l’étude n’a pas suffisamment traité les nombreux changements subis par Tyrannosaurus lors de sa croissance.

Pour Tom Holtz, paléontologue de l’Université du Maryland, il y a un autre problème avec cette étude. Elle ne situe pas précisément l’endroit où chaque fossile a été découvert dans la formation de Hell Creek. C’est pourtant ce qui a permis de définir des chrono-espèces dans le cas de Triceratops. Avec des données de géolocalisations plus précises pour chaque fossile, on pourrait mieux les dater les uns par rapport aux autres. Cela constituerait un test plus rigoureux pour savoir si on peut ou non répartir Tyrannosaurus en plusieurs espèces.

« C’est fichument difficile. Pour beaucoup, ces spécimens historiques ont été recueillis avant que les gens ne soient aussi méticuleux », commente Tom Holtz. « [Mais] cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer. »

Gregory Paul rétorque que la difficulté réside en partie dans le fait que certaines de ces informations géologiques sont désormais irrécupérables. La carrière d’où l’on a extrait AMNH 5027 (un crâne de tyrannosaure désormais exposé au Musée américain d’Histoire naturelle de New York) a été inondée quand on a construit le barrage de Fort Peck en 1940 et les couches sédimentaires sont plus difficiles à étudier.

Certains chercheurs font part d’inquiétudes quant à certains squelettes inclus dans l’étude. L’étude s’appuie en partie sur des fossiles de l’Institut de recherches géologiques Black Hills, une entreprise du secteur de la paléontologie basée à Hill City, dans le Dakota du Sud, qui vend des fossiles et des répliques de fossiles à des musées et à des collectionneurs.

L’étude incorpore également « Stan », squelette de tyrannosaure en excellent état de conservation que l’entreprise a dû vendre aux enchères sur décision de justice en octobre 2020. À ce jour, l’endroit où se trouve le fossile et le nom de son acquéreur demeurent inconnus. Les chercheurs interrogés par National Geographic se disent préoccupés par la carence déontologique consistant à appuyer son étude sur des fossiles de tyrannosaures privés.

Selon Scott Persons, l’étude a été soumise à inter-évaluation avant la vente de Stan en 2020. Et lui et Gregory Paul ajoutent que les analyses de l’étude s’appuient sur les échantillons les plus larges possible, ce qui ne peut être fait sans prendre en compte les fossiles détenus par des particuliers. « Si nous ne les utilisons pas, la taille de l’échantillon est trop faible, et nous ne pouvons rien faire ; nous aurions à attendre des dizaines d’années », précise Gregory Paul.

Il avance également que cette nouvelle étude pourrait mettre des bâtons dans les roues au marché des fossiles puisque celle-ci affirme que tous les os du genre Tyrannosaurus ne peuvent être assigné avec certitude au nom iconique T. rex. Si son étude est valide, alors Stan n’est plus un T. rex mais un T. regina.

Les auteurs de la nouvelle étude sont conscients d’amorcer la controverse quant à la façon dont il faut étudier et décrire Tyrannosaurus. Pour Scott Persons, la désignation d’une espèce n’est en fin de compte rien qu’une hypothèse. Une hypothèse que des données ultérieures peuvent soit réfuter soit confirmer. « Tout ce qu’il faut, c’est un ou deux spécimens qui transgressent ces règles, non ? […] [Ensuite], c’est retour à la case départ de la taxonomie », affirme-t-il.

« Cela ne me surprendrait pas du tout – je suis réaliste sur mes statistiques – qu’il s’avère en fin de compte que [ces nouvelles définitions d’espèces] ne sont pas correctes, ajoute-t-il. Ce dont je suis convaincu, c’est qu’il y a forcément plus d’une espèce de Tyrannosaurus. »

Pour Lindsay Zanno, l’étude est un pas franc fait en direction d’une ébauche plus exhaustive de l’arbre généalogique du roi des lézards tyrans. « Aucune hypothèse seule, qu’il s’agisse de la dissemblance individuelle, de la croissance, ou qu’il s’agisse du statut sexuel de vos spécimens, ne va rendre compte de toutes les variations que vous observez, assure-t-elle. Vous devez avoir un regard multidimensionnel sur le problème. »

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