Exposition à des substances chimiques, conditions précaires et racisme : un rapport de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) qui paraît ce lundi jette un nouvel éclairage sur les conditions de travail et les risques auxquels font face les travailleurs dans les centres de recyclage électronique.
Si le fait de recycler vos vieux appareils électroniques est bénéfique pour l’environnement, l’exercice peut en effet s’avérer néfaste pour la santé des travailleurs. Les employés dans les centres de recyclage électronique, qui ont comme mandat de démonter les produits afin d’en trier les composants, s’exposent quotidiennement à un mélange de substances potentiellement toxiques.
Des chercheurs de l’IRSST ont parcouru différents centres de recyclage électronique dans toute la province, afin de documenter les conditions de travail et l’exposition des travailleurs.
Leur constat : 9 métaux et 27 retardateurs de flammes, des mélanges de produits chimiques permettant de rendre des objets moins inflammables, ont été mesurés dans le sang et l’urine des travailleurs. « Cet éventail de substances et de différents métaux pourrait éventuellement avoir des effets sur leur santé, soit des atteintes aux reins, au système nerveux et au système de reproduction masculin », indique à La Presse la chercheuse de l’IRSST et première auteure du rapport, Sabrina Gravel.
Les chercheurs ont également noté une diminution de la testostérone et une augmentation de l’estradiol, deux hormones sexuelles, chez les travailleurs masculins.
Dans ces entreprises, ce sont principalement des hommes en âge de procréer. On ne sait pas quels effets la perturbation des niveaux d’hormones pourrait avoir concrètement, mais ça nous dit qu’éventuellement, il pourrait y avoir des effets sur la fertilité.
Sabrina Gravel, chercheuse à l’IRSST et première auteure du rapport
L’utilisation d’appareils électriques et électroniques ne cesse de croître dans le monde. Lorsqu’ils ne sont plus fonctionnels, leur recyclage est une solution intéressante pour réduire l’empreinte écologique, mais des études dans plusieurs pays ont démontré que les travailleurs peuvent être exposés à un mélange de substances potentiellement toxiques.
Des résultats « préoccupants »
« En regardant les études ailleurs, on se doutait qu’il allait y avoir des concentrations de certains contaminants qui étaient possiblement élevées, mais on n’avait pas du tout d’information sur ce qui se passait au Québec », soutient Mme Gravel.
Son équipe de recherche a visité sept entreprises de recyclage dans six régions du Québec pour y effectuer des prélèvements d’air, d’urine et de sang auprès de 100 travailleurs. Les résultats se sont révélés « suffisamment préoccupants » pour justifier certaines mesures pour réduire l’exposition des travailleurs, a indiqué Mme Gravel.
Parmi les métaux mesurés chez les travailleurs, certains sont cancérogènes, comme l’arsenic, le cadmium ou le nickel. Le cadmium, le plomb et le mercure ainsi que plusieurs retardateurs de flammes peuvent également agir sur les hormones.
Même si les concentrations des métaux ne dépassaient pas les limites permises au Québec, l’addition de ces différentes substances pourrait avoir des effets toxiques notamment sur le cerveau et les reins, indique Mme Gravel.
Milieu précaire
L’équipe de recherche a également documenté les conditions de travail du personnel grâce à des entrevues menées auprès d’une trentaine de travailleurs et de gestionnaires. Ce qui en est ressorti : les travailleurs vivent souvent une situation de vulnérabilité, notamment quant à leur niveau d’éducation, à leur situation de précarité financière, au type de lien d’emploi et à l’absence d’avantages sociaux.
C’est une job qui n’est pas facile. Donc, ceux qui se ramassent à travailler là, c’est ceux qui sont comme emprisonnés, ils n’ont pas le choix d’avoir une job et ils ne sont pas capables de se placer.
Un gestionnaire d’une des entreprises qui a obtenu l’anonymat dans le cadre de l’étude, s’adressant à l’équipe de recherche
Lors des entrevues, la présence du racisme a aussi été rapportée par des travailleurs. « Il faut porter attention à ce phénomène qui peut être une source de tension et de division importante au sein des collectifs de travail », a noté le rapport.
« Il est encore temps d’agir »
Devant les conclusions du rapport, les chercheurs ont émis quelques recommandations. D’abord, des efforts devraient être déployés pour diminuer l’exposition des travailleurs aux poussières en suspension dans les entreprises. « Il faut favoriser une bonne ventilation, une aspiration des poussières à la source et un meilleur nettoyage des surfaces de travail », détaille la chercheuse.
Étant donné la présence de plomb dans l’air et dans le sang de plusieurs travailleurs, une surveillance biologique annuelle doit aussi être mise en place si elle n’est pas déjà instaurée, note le rapport.
« On constate qu’il y a des choses à améliorer, mais c’est un domaine en expansion, donc il est encore tôt. Il est encore temps d’agir », estime Mme Gravel.
En réponse à la demande d’entrevue de La Presse, l’Association pour le recyclage des produits électroniques a indiqué par courriel que toutes les entreprises avec qui elle collabore sont « auditées afin de valider leur conformité aux exigences et de veiller à ce qu’elles maintiennent en place de saines pratiques de gestion environnementale de même que des mesures de contrôle et de sécurité adéquates ».
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