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Monday, July 4, 2022

[Série] « Le génome manquant » : agents pathogènes d'outre-tombe - Le Devoir

L’ADN ancien révèle des secrets bien gardés sur les migrations, l’évolution et le métissage des populations humaines, mais également sur l’histoire des agents pathogènes et des animaux. Deuxième article d’une série sur la bouillonnante science qu’est la paléogénomique.

La scène se déroule au début du XIIIe siècle sur le territoire de l’Empire byzantin, plus précisément à Troie, dans l’actuelle Turquie. Une femme enceinte, âgée d’environ 30 ans, accouche d’un petit garçon. Cette nouvelle mère est toutefois malade ; elle souffre d’une forte fièvre. Elle ne survit pas à l’accouchement, tout comme son bébé, également affecté par l’infection, qui meurt avant même de naître.

Des histoires comme celle-là, l’humanité en a connu depuis la nuit des temps. Quelle maladie emporta ces deux vies ? Grâce à la science, cette petite tragédie troyenne fait maintenant l’objet d’une compréhension inédite. L’exemple illustre la puissance de la paléogénomique pour réécrire l’histoire des agents pathogènes. Une histoire inextricablement liée à la nôtre.

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« L’ADN ancien ouvre une fenêtre sur un passé complètement inexploré, pour lequel nous n’avons aucun relevé historique. Autrement, vous ne pouvez pas regarder un os et savoir que la personne à qui il appartenait personne est morte d’une infection à E. coli, par exemple — c’est tout simplement impossible », explique avec émerveillement Hendrik Poinar, le directeur du Centre de l’ADN ancien de l’Université McMaster, située à Hamilton, en Ontario.

En 2017, le professeur Poinar et ses collègues ont publié un article décrivant en détail le triste sort de la mère troyenne, qui n’était jusque-là qu’un simple squelette. Ils y sont arrivés parce que les os de la défunte étaient assortis de deux petits nodules calcifiés — des abcès, probablement — riches en matière organique.

Des analyses y ont révélé la présence de l’ADN de la femme, de son foetus, mais aussi de deux bactéries : l’une typique des infections liées à la grossesse (Gardnerella vaginalis), l’autre plutôt associée aux infections urinaires (Staphylococcus saprophyticus). Le génome de la seconde bactérie diffère considérablement de la souche de S. saprophyticus qui circule aujourd’hui chez les humains, mais se rapproche de celle affectant le bétail. Les scientifiques ont ainsi déduit que cette bactérie avait un jour « sauté » des vaches à l’humain.

« Toutes ces découvertes découlent d’un tout petit échantillon d’un centimètre cube, précise M. Poinar. Sans ces méthodes, nous n’aurions jamais eu ce genre d’informations sur la santé des femmes à cette époque. Je trouve que c’est vraiment cool. » Seuls une poignée de laboratoires dans le monde savent mener de telles expériences.

Bestiaire d’agents pathogènes

Choléra, malaria, E. coli : les agents pathogènes sont nombreux ces dernières années à révéler leurs secrets aux généticiens qui savent en déchiffrer l’ADN.

Dernier exemple en date : une équipe basée à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig, a proposé dans un article paru à la mi-juin dans Nature une origine géographique et temporelle à la bactérie Yersinia pestis, responsable de la peste noire, qui emporta vers l’au-delà la moitié de la population européenne au XIVe siècle.

L’équipe de chercheurs a analysé l’ADN de dents trouvées dans un cimetière au Kirghizistan. Les tombes — datées de 1338 et 1339, soit sept et huit ans avant l’arrivée de la peste noire en Europe — indiquent en syriaque que les victimes ont été emportées par la « pestilence ». Le matériel génétique de Yersinia pestis préservé dans leurs dents s’avère être à la base des différentes souches qui ont émergé par la suite. Conclusion logique : c’est là que se trouve la genèse de la terrible pandémie du Moyen-Âge.

Des maladies comme la peste noire ont profondément influé sur l’évolution humaine. Hendrik Poinar participe d’ailleurs à un grand projet de recherche, dont les résultats sont sur le point de paraître, qui montre quels ont été les gènes humains favorisés ou défavorisés par Yersinia pestis. L’équipe a comparé les génomes d’individus morts avant, pendant et après le terrible épisode du XIVe siècle.

Une étude semblable, mais concernant la tuberculose, a été publiée en 2021 par l’équipe du généticien franco-espagnol Lluis Quintana-Murci. Ces scientifiques ont montré qu’une mutation génétique prédisposant l’humain à la tuberculose avait considérablement diminué en fréquence (de 10 % à 2-4 %) en l’espace de deux millénaires en Europe. Une pression de sélection naturelle très forte est en cause, affirment-ils.

Variole et vaccine

 

Marie-Hélène B.-Hardy, une doctorante québécoise qui travaille dans le laboratoire du professeur Poinar, étudie pour sa part les épidémies de variole en Amérique du Nord aux XVIIIe et XIXe siècles. « On regarde l’interrelation entre l’évolution de ce virus et l’évolution des politiques de santé publique », explique celle qui s’est jointe il y a quatre ans à cette équipe de réputation internationale.

Pour ce faire, elle compte sur deux importantes collections de restes humains en provenance de Montréal et de Philadelphie. Les squelettes ont été récupérés principalement lors de « fouilles de sauvetage », organisées par exemple en marge d’une excavation rendue nécessaire par un chantier.

Dans certains cas — comme lorsque les cercueils sont peints en rouge —, les archéologues sont à peu près sûrs que c’est la variole qui a tué. Mais la plupart du temps, ils doivent croiser les doigts pour tomber sur l’infâme virus qui la cause. Et s’ils ne le trouvent pas, ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas. « Avec l’ADN ancien, l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence », dit Mme B.-Hardy.

Pour l’instant, la doctorante n’a trouvé aucune trace génétique de la variole dans ses échantillons, mais garde espoir. La caractérisation de quelques souches lui permettrait de comprendre comment atterrissait la maladie dans les villes d’Amérique du Nord : par la voie de la mer ou bien par celle des routes commerciales intérieures ? Elle analyse aussi les souches historiques de vaccine (responsable de la « variole de la vache »), qui servaient aux XVIIIe et XIXe siècles à immuniser les populations.

De la peste aux petits rhumes

 

La paléogénomique permet de mieux comprendre les maladies d’importance historique, comme la variole — qui décima les populations autochtones d’Amérique à l’arrivée des Européens — et la peste noire, mais M. Poinar espère aussi que la communauté scientifique tirera profit de cette puissante science pour sonder l’histoire de maladies anodines.

« Ce qui m’intéresse beaucoup, dit-il, c’est le fardeau imposé par les maladies pour lesquelles nous n’avons aucun relevé historique. Nous savons déjà à quel point la peste était terrible. Toutefois, nous ne savons presque rien sur les agents pathogènes communs qui ont affecté les humains à très large échelle ; pourtant, ceux-ci sont probablement responsables de la majorité des décès dans l’histoire. »

« Je ne prétends pas que l’ADN ancien est la seule manière de découvrir le passé, poursuit-il, mais je pense que c’est un outil particulièrement puissant pour dévoiler quelles bibittes ont rendu l’humanité malade et quel était leur génome. On peut même tester la virulence et la toxicité du génome de ces agents pathogènes en laboratoire. Comprendre leur trajectoire évolutive nous aide à savoir ce que l’avenir nous réserve. »

À voir en vidéo

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