Le Québec compte des centaines d’anciens sites miniers abandonnés. Des entreprises ont trouvé un moyen de leur donner une deuxième vie, tout en contribuant à la lutte contre les changements climatiques : elles les transforment en immenses puits de carbone.
Grises, sans vie, lunaires : autant de qualificatifs qui s’appliquent de moins en moins aux haldes (tas de débris miniers) de l’ancienne mine Jeffrey de Val-des-Sources (anciennement Asbestos), en Estrie. Depuis 2004, la société canadienne Englobe s’affaire à végétaliser cet immense site à ciel ouvert dégradé par des décennies d’exploitation de l’amiante. Jadis qualifié d’or blanc, il est couvert d’opprobre depuis qu’il a été classé cancérigène à la fin des années 1980 par l’Organisation mondiale de la santé. Le Canada interdit d’ailleurs son utilisation sous toutes ses formes depuis 2018.
« Nous avons revitalisé près de 300 hectares du site. Nous avons encore beaucoup de travail devant nous, cependant ; les résidus miniers accumulés au fil des ans s’étendent sur environ 800 hectares, dont nous possédons 450 hectares », explique Serge Loubier, directeur du développement des affaires à Englobe, qui travaille entre autres dans les domaines de l’ingénierie, du traitement des sols et de la biomasse. Toutefois, le contraste est fort. Là où, jadis, se dressaient des amas de roches retirées pour accéder au gisement d’amiante se déploie désormais une prairie verdoyante, où butinent des abeilles et où sont parfois même aperçus des cerfs de Virginie !
Ce projet de verdissement a pris forme grâce aux matières résiduelles fertilisantes (MRF) récupérées par Englobe auprès d’usines de pâtes et papiers et de stations d’épuration municipales. Le principe ? Créer un compost avec ces déchets, pour ensuite l’étendre sur le stérile minier, où rien ne pousse en temps normal. Les sols faiblement contaminés sont ensuite ensemencés avec de l’avoine, par exemple. « L’utilisation de matières organiques pour dynamiser le potentiel de captation de carbone des sols est une approche dont on parlait peu il y a quelques années, mais qui est aujourd’hui en pleine émergence », souligne Serge Loubier.
Séquestrer le carbonegrâce à la végétation
À Black Lake, une ville située à une cinquantaine de kilomètres de là, dans Chaudière-Appalaches, se déroule un projet du même acabit. Depuis 10 ans, Viridis Environnement procède aussi à la végétalisation d’anciennes haldes de résidus amiantés, celles de la mine Granilake, grâce à ses « recettes » maison de MRF. Spécialisée en gestion de matières résiduelles et organiques, cette entreprise québécoise pousse cependant la démarche plus loin : depuis 2018, elle collabore à l’implantation d’une couverture végétale permanente composée de plantes herbacées et d’arbustes. Déjà, il est possible d’y apercevoir des saules hybrides en pleine santé, comme en témoigne leur taille, qui dépasse celle d’un adulte.
Mené en collaboration avec les propriétaires de l’ancien site minier et une équipe de chercheurs de l’Université TELUQ et de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), ce projet pilote se veut à la fois écologique, économique, durable et socialement responsable. « Nous retournons à la terre des matières qui en sont issues, fermant ainsi la boucle du carbone sans rien incinérer ni rien envoyer à l’enfouissement. En plus, la plantation rend une foule de services écosystémiques, comme de limiter les poussières, de stabiliser le sol et de réduire le ruissellement », explique Isabelle Fréchette, directrice du bureau régional de Sherbrooke de Viridis Environnement.
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les taux de survie et de croissance des diverses espèces plantées sur les collines de résidus miniers de Black Lake. Le mystère entoure aussi le potentiel de séquestration du carbone à moyen et à long terme de ces arbres ; l’équipe du professeur Nicolas Bélanger, du Département science et technologie de l’Université TELUQ, planche toujours sur ces volets du projet.
Vouloir tourner la page
La création d’oasis de verdure à l’aide de haldes infertiles est bien accueillie par la population locale, indique une enquête réalisée par la Chaire de recherche du Canada en économie écologique de l’UQO et publiée dans le journal scientifique The Extractive Industries and Society : 81 % des résidents et résidentes de Thetford Mines, de Black Lake et de Val-des-Sources sondés souhaitent voir l’or vert effacer pour de bon le souvenir de l’or blanc. « Nous avons été étonnés par ce taux d’adhésion, qui témoigne d’un réel désir de tourner la page. Les gens du coin sont pourtant attachés à cet héritage minier, qui fait partie du patrimoine régional », souligne Ann Lévesque, doctorante à l’UQO, qui a piloté cette étude. Autre surprise : de tous les usages possibles de ces futurs espaces verts, c’est le stockage de carbone qui séduit le plus ces personnes sondées. « Quatre répondants sur dix sont des amoureux de la nature qui témoignent d’une véritable conscience environnementale », analyse-t-elle.
Cette acceptabilité sociale envers de tels projets est de bon augure pour l’avenir. En tout cas, le jeu en vaut la chandelle : on estime que les haldes sur les anciens sites miniers de Chaudière-Appalaches et de l’Estrie contiennent environ 800 000 tonnes de résidus miniers amiantés qui occupent environ 2308 hectares.
Une première version de cet article a été publiée le 6 septembre 2021 sur unpointcinq.ca
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.
À voir en vidéo
Des sites miniers abandonnés sont transformés en immenses puits de carbone - Le Devoir
Read More
No comments:
Post a Comment