Dans les locaux parisiens de Station F, qui se targue d’être « le plus grand campus de start-up du monde », Lionel Mora et Patrick Torbey font pousser des plantes. Des pothos (Epipremnum aureum), l’une des plantes d’intérieur les plus communes et les plus faciles à maintenir en vie. Mais celles-ci ne sont pas tout à fait comme celles que nous avons dans nos salons.
Le 27 octobre, leur entreprise Neoplants a dévoilé, après quatre ans de recherche scientifique, une plante capable de nettoyer l’air ambiant de ses polluants, et ce, aussi efficacement que 30 plantes d’intérieur standard.
« Une plante, c’est un organisme magnifique, presque iconique. Quelle est la fonction la plus forte qu’on puisse lui donner ? De manière très instinctive, on s’est dit que si elles étaient capables de purifier l’air, ce serait formidable », affirme Lionel Mora, un ancien de Google devenu cofondateur et PDG de Neoplants.
Baptisée Neo P1, cette plante, issue de la bio-ingénierie, a été génétiquement modifiée pour capturer et recycler certains polluants atmosphériques que l’on trouve couramment dans les habitations, soit le benzène, l’éthylbenzène, le toluène et le xylène (BTEX), ainsi que le formaldéhyde. Ces composés organiques volatils (COV), libérés dans l’air ambiant, peuvent provenir de différentes sources comme les matériaux de construction, les meubles, les produits d’entretien ménager et la cuisson.
Certaines plantes ont des facultés purificatrices, donc elles sont capables d’absorber un peu de polluants, mais la plupart du temps, elles ne sont pas du tout capables d’en faire quelque chose. C’est stocké dans les cellules et du coup, elles arrêtent d’en absorber.
Patrick Torbey, cofondateur de Neoplants
M. Torbey, le directeur de la technologie chez Neoplants, est titulaire d’un doctorat en édition du génome (transgénèse et CRISPR/Cas9, une technique révolutionnaire permettant de modifier plus facilement et plus précisément les séquences d’ADN).
« Depuis que je suis petit, je suis fasciné par la nature et par une chose en particulier : l’ADN, qui est une molécule qui code les caractéristiques de tous les organismes vivants, indique-t-il. Changer cette molécule change les caractéristiques d’un organisme. »
Pour augmenter la puissance de purification du pothos, Patrick Torbey et son équipe ont eu recours à la biologie synthétique, une discipline qui marie la biologie et l’ingénierie. En insérant des voies métaboliques synthétiques dans la plante, ils permettent à celle-ci d’intégrer les COV dans ses chaînes métaboliques en transformant le formaldéhyde en fructose et les BTEX en acide aminé, créant ainsi de la matière végétale. Parce que la plante vit également avec une colonie de champignons et de bactéries qui ont aussi un potentiel d’élimination des COV, son microbiome a été amélioré en utilisant l’évolution dirigée.
L’ouverture des précommandes pour la Neo P1 est prévue pour le premier trimestre de 2023 et la livraison suivra plus tard dans l’année. Chaque plante sera vendue au coût de 179 $ US, ce qui comprend le pot, spécialement conçu pour en faciliter l’entretien, et le microbiome pour une période de trois mois, celui-ci devant pour le moment être idéalement renouvelé tous les mois ou mois et demi. L’entreprise vise d’abord le marché américain, mais elle n’exclut pas de l’étendre au Canada éventuellement.
Cela fonctionne-t-il ? Difficile pour le consommateur de le savoir, puisqu’il est compliqué de mesurer le niveau de COV dans une pièce. Neoplants assure toutefois avoir mené des tests concluants en collaboration avec l’Université de Lille, dont les résultats sont publiés dans un livre blanc, lequel ne constitue toutefois pas une étude révisée par les pairs.
Pour les deux entrepreneurs, il s’agit d’une première étape vers le développement de plantes qui auraient un impact positif sur nos vies et les changements climatiques. « Est-ce que c’est possible d’ajouter à une plante une fonction qui lui permette d’absorber et de stocker beaucoup plus de carbone qu’une plante normale ? », s’interroge Patrick Torbey.
Améliorer la photosynthèse des plantes est un défi qu’ont tenté de relever plusieurs laboratoires dans le passé. Sans grand succès jusqu’à présent. Mais le scientifique demeure optimiste.
On commence à avoir les outils, CRISPR et d’autres, qui nous permettent de tenter une nouvelle manière d’insérer des fonctions beaucoup plus complexes dans des organismes.
Patrick Torbey, cofondateur de Neoplants
Stockage de données et éclairage
Le laboratoire de Neoplants n’est certainement pas le seul à tenter de multiplier le potentiel des plantes qui nous entourent. Des chercheurs de l’Université de Washington sont aussi parvenus à améliorer les capacités de dépollution du pothos en y introduisant un gène de lapin. À l’Université du Tennessee, l’équipe du professeur Neal Stewart se penche sur les phytocapteurs qui permettraient aux plantes de détecter des polluants dans l’air comme les moisissures ou le radon, des pathogènes, des produits chimiques ou des radiations. Grow Your Own Cloud, une entreprise en démarrage qui a débuté comme un projet artistique, souhaite remplacer les centres de données par des « forêts de data » en stockant des données numériques dans des végétaux.
Au Massachusetts Institute of Technology (MIT), dans le laboratoire de l’ingénieur chimiste Michael S. Strano, les plantes s’illuminent comme dans l’univers du film Avatar. « Nous voulons transformer une plante en lampe, résume le professeur de génie chimique au MIT, en entrevue téléphonique. Nous travaillons à rendre leur éclairage plus lumineux et à le faire durer plus longtemps, de façon que vous n’ayez pas à réappliquer la chimie aussi souvent. Nous souhaitons également faire en sorte que la plante puisse s’éteindre ou s’allumer, soit par l’humain, soit en le couplant à la plante elle-même, de sorte que lorsqu’il fait sombre, la plante allume sa lumière, et lorsqu’il fait jour, elle l’éteint. »
Après être d’abord parvenue à faire briller des plants de cresson pendant quatre heures en utilisant des porteurs de nanoparticules pour amener à l’intérieur de la plante la luciférase, l’enzyme qui donne aux lucioles leur éclat, son équipe a réalisé l’an dernier ce que le professeur a alors qualifié de « grand pas vers l’éclairage à base de plantes ».
En utilisant des nanoparticules spécialisées intégrées aux feuilles, les ingénieurs ont créé, sans altérer son ADN, une plante dont la lumière est 10 fois plus brillante que la précédente, qui peut emmagasiner la lumière et peut être chargée par une diode électroluminescente. Après 10 secondes de charge, la plante brille pendant environ une heure et peut être rechargée à plusieurs reprises. Mais idéalement, celle-ci convertirait une part de son énergie en lumière et pourrait réémettre une partie de la lumière du soleil qu’elle aurait captée.
Le procédé peut être appliqué à presque toutes les variétés de plantes. Selon Michael S. Strano, le moment où nos plantes d’intérieur pourront être une source d’éclairage n’est pas si lointain. « Cinq ou dix ans », prédit-il. Pourraient-elles même devenir un jour notre principale source d’éclairage ? « Absolument, si nous le voulons. La technologie est là. Tout le reste n’est qu’une question d’ingénierie et de coût. Une question que nous devons nous poser est : où voulons-nous un éclairage à base de plantes et dans quelles conditions ? » Certains points restent également à étudier, comme l’interaction des insectes avec ces plantes luminescentes.
Modifier le vivant végétal a le potentiel d’engendrer des effets importants sur notre existence et celle des autres êtres vivants. Pour Partick Torbey, il est essentiel qu’un débat sur les limites qui devraient être imposées soit mené dans la société. « Les OGM en tant que tels, ce n’est qu’un outil. On pourrait dire qu’il y a des questions éthiques autour de l’utilisation de l’acier. Si on en fait une épée, ça peut tuer des gens, si on en fait une fourchette, ça peut les nourrir. C’est un outil qui peut être très puissant et qu’il faut regarder de près pour s’assurer de faire les choses bien. »
« Beaucoup d’idées »
Les plantes émettrices de lumière ne sont qu’un volet des recherches menées par le Strano Research Group.
Nous avons beaucoup d’idées. Plus largement, mes recherches posent cette question : peut-on remplacer les objets que nous fabriquons en plastique et en circuits imprimés par des plantes vivantes et fonctionnelles ? C’est une question que personne n’a posée auparavant.
Michael S. Strano, ingénieur chimiste au MIT
Et si on se permet de rêver, les possibilités sont infinies. La série documentaire The Future of, produite par Netflix et The Verge, y consacre d’ailleurs un épisode dans lequel Emma Marris, une auteure américaine spécialisée en environnement, soutient qu’« on effleure à peine le potentiel des plantes d’intérieur ».
« Vous pourriez avoir des plantes qui seraient des antennes WiFi, extrapole Michael S. Strano. Elles pourraient être des caméras, des capteurs chimiques, détecter le mouvement et les humains. Elles pourraient détecter les agents pathogènes, les substances qui sont nocives pour les humains. Ce que la plante peut détecter, vous pourriez l’amener sur l’internet en l’envoyant sur votre téléphone portable. Si vous parlez des plantes comme source de lumière, vous pourriez avoir des plantes émettant n’importe quelle couleur de lumière. Vous pourriez décorer votre maison entière. Toute votre maison pourrait être éclairée par un éclairage à base de plantes. Et vous n’auriez pas besoin de brancher une seule plante. » Ni de changer les ampoules !
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- 13 m2
- Superficie recommandée pour l’utilisation de la Neo P1, soit la taille approximative d’une chambre à coucher
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À quand des plantes WiFi ? | La Presse - La Presse
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