Pour ceux que le futur intéresse, sachez qu’il est déjà là. À la croisée du simple gadget, de l’intelligence artificielle et de la réalité augmentée se trouvent des lunettes fumées en apparence tout à fait banales, qui préfigurent la prochaine grande révolution technologique.
Personne ne s’y attendait, mais 2023 appartient pour le moment à Microsoft. Si le géant de Redmond n’avait pas développé depuis sa création en 1975 cette fâcheuse manie de s’autopeluredebananiser, on aurait parié que ce succès inouï s’étirerait jusqu’à la fin de la décennie. Là, rien n’est moins sûr.
Mais pour un aperçu du futur qui pourrait aussi bien être signé Apple ou Google que Microsoft, il suffit de jeter un coup d’oeil à ce que ce dernier est parvenu à réaliser ces dernières semaines.
Pour être plus exact, il faudrait surtout lui prêter l’oreille.
Bing bang
À la mi-février, ce que les rumeurs prédisaient depuis quelques jours a été confirmé par le p.-d.g. de Microsoft, Satya Nadella : l’outil automatisé de compréhension du langage mis au point par le labo californien OpenAI pour donner vie à ChatGPT allait être intégré dans le moteur de recherche Bing. Une dizaine de jours plus tard, Microsoft annonçait que l’application Bing allait à son tour accueillir cette intelligence artificielle nouveau genre. Mieux : Bing sur mobile combine sa propre version de ChatGPT à un synthétiseur vocal.
Résultat : on n’a plus à clavarder avec ChatGPT. On peut carrément lui parler. Et la version de ChatGPT qu’on trouve dans l’application Bing nous livre de sa douce voix confiante et assurée la réponse à toutes nos questions.
« Qu’est-ce qui se passe en Ukraine ? », peut-on lui demander. « La situation en Ukraine est très grave », nous répond tout de go Bing dans le creux de l’oreille. « Il y a une guerre qui dure depuis un an et qui a fait des milliers de morts et de blessés. L’ONU a exigé un retrait immédiat des troupes russes du territoire ukrainien, mais Moscou n’a pas obtempéré […]. »
Pas besoin d’aborder des sujets pointus pour piquer un brin de jasette avec Bing. Les férus de météo ou de sport peuvent non seulement interroger cet assistant vocal et numérique nouveau genre sur l’état actuel des choses, ils peuvent répliquer à leur tour et entretenir une conversation qui s’étire sur plusieurs minutes. L’IA ne perd pas le fil de la discussion tant que celle-ci n’est pas terminée.
Bref, Bing et ChatGPT en version vocale sont aussi bons pour un quart d’heure de small talk sur l’air du temps que pour résumer en 30 secondes un enjeu géopolitique en pleine évolution comme la guerre d’agression russe en Ukraine.
La puce à l’oreille
Évidemment, les histoires de peur et d’horreur vont fuser sur Internet dans les prochaines semaines pour illustrer à quel point peut être erratique, voire dangereuse — le New York Times l’a pratiquement qualifiée de psychopathe — l’IA utilisée par Microsoft.
On entend souvent les experts en sécurité automobile rigoler et affirmer que le plus gros facteur d’accident dans la voiture se situe à environ 50 cm derrière le volant. On peut dire la même chose des applications d’intelligence artificielle du moment : le facteur humain est le plus grand risque.
Une interface vocale, aussi interactive soit-elle, ne demeure que ça : une interface. OpenAI et Microsoft nous donnent accès à de l’information qui, à la base, a été créée et mise en ligne par des humains. Un détail important à toujours avoir en tête quand on interagit avec ces systèmes.
Au moins, Bing avec ChatGPT en version orale n’a rien à voir avec les détestables systèmes téléphoniques automatisés qu’à peu près toutes les grandes entreprises s’entêtent à employer pour rendre leur service à la clientèle plus médiocre encore qu’il soit humainement possible de l’être.
Et c’est là où la prochaine grande transformation informatique pourrait avoir lieu. En 25 ans, Internet est passé d’un réseau accessible à l’université et dans certains cafés à un réseau accessible de la maison. Puis il est devenu mobile : on l’a dans la poche. La prochaine étape est simple : on l’aura à l’oreille.
Réalité augmentée
Il n’est pas farfelu d’imaginer que l’interface vocale sera la porte d’entrée par laquelle la réalité augmentée deviendra une technologie grand public. Les géants technologiques ont tous l’intention, d’ici 2025, de mettre en vente des lunettes dans lesquelles on verra s’afficher du contenu tiré d’Internet.
Chez Meta (l’ex-Facebook), on pense qu’on pourra commander de telles lunettes à partir de gestes manuels que des caméras logées dans la monture vont reconnaître. On en doute. L’expérience semble plus prometteuse du côté d’une interface vocale capable de dialoguer puis de présenter du contenu connexe de façon visuelle.
Ces lunettes de réalité augmentée n’existent pas encore. En attendant, on verra apparaître cette année une nouvelle flopée de lunettes qui se connectent à un téléphone pour jouer de la musique et passer des appels. La marque de « verres intelligents » Solos en est un exemple. Elle vend des verres fumés qui effectuent plusieurs petites tâches connectées amusantes.
Les lunettes Solos ont l’avantage de ne pas coûter une très grande fortune : son modèle d’entrée de gamme se vend 275 $. Surtout, les lunettes Solos ont des micros et des haut-parleurs de qualité suffisante pour dialoguer convenablement avec un interlocuteur ou, dans ce cas-ci, avec l’application Bing.
Autrement dit, les curieux qui rêvent de savoir à quoi ressemblera le futur et qui ont tout au plus 300 $ en poche peuvent le découvrir rapidement et simplement, en réunissant Bing, ChatGPT et des verres connectés comme les Solos.
En attendant des lunettes connectées, et très probablement hors de prix, signées Apple…
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