(Washington) Six objectifs
Une diminution de 90 % du coût du stockage de l’énergie d’ici 2030. C’est l’un des six objectifs annoncés en 2021 par le département américain de l’Énergie pour la transition énergétique. Ce sont des « Earthshots », en référence aux « Moonshots », une expression désignant les projets ambitieux, à la limite du farfelu.
Au congrès de l’AAAS, la sous-secrétaire à la science du département, Geraldine Richmond, a mis l’accent sur ce dossier. « Si on inclut l’hydrogène, le tiers de nos Earthshots concernent le stockage de l’énergie renouvelable, n’est-ce pas extraordinaire ? », a dit la chimiste du Kansas, avec une verve peu commune chez une scientifique.
Plus d’un demi-milliard de dollars américains seront consacrés dans les prochaines années à une dizaine de technologies de stockage à long terme – soit plus de 10 heures – de l’énergie. Elles vont du pompage de liquides dans des réservoirs surélevés au chauffage de solides. L’amélioration des batteries est aussi au menu, avec des investissements de 6 milliards US. L’Earthshot de l’hydrogène vise à réduire de 80 %, à 1 $ US par kilo, le prix de l’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables.
Le cas de l’Alaska
Au printemps dernier, Mme Richmond a visité deux projets d’énergie solaire à Kotzebue et Utgiagvik, des villages côtiers de l’Alaska. L’énergie y est stockée dans des batteries pour assurer une alimentation continue. « Quand ces communautés étaient alimentées par des génératrices au diesel, il y avait toujours un bruit de fond, nuit et jour, a dit Mme Richmond. Imaginez le changement [sans ce bruit] ! On ne parle pas seulement de transition énergétique, c’est vraiment une question de qualité de vie. »
Les autres Earthshots
- Réduire de 85 % les émissions liées au chauffage industriel nécessaire au traitement des matériaux, par exemple à la production de plastiques et de métaux.
- Réduire à 100 $ US par tonne le captage et le stockage du CO2 atmosphérique.
- Réduire de 90 %, à 45 $ US par mégawattheure, le coût de l’énergie géothermique.
- Réduire de 95 %, à 45 $ US par mégawattheure, le coût de l’énergie éolienne marine.
La piste de l’ammoniac
Deux conférenciers d’une séance sur le stockage de l’énergie du congrès de l’AAAS se spécialisent dans l’ammoniac, une molécule composée d’azote et d’hydrogène qui est gazeuse mais facilement liquéfiable.
« À mon avis, c’est le carburant de l’avenir », a expliqué Bill David, de l’Université d’Oxford, en Angleterre. « J’ai travaillé au départ sur les batteries, mais j’ai bifurqué vers le stockage sous forme gazeuse, parce que c’est la seule manière de conserver les infrastructures actuelles de transport et d’utilisation de l’énergie. »
J’ai commencé avec l’hydrogène, mais quand j’ai réalisé le potentiel de l’ammoniac, ça m’a renversé. Non seulement on a un carburant sans gaz à effet de serre, mais aussi on élimine les émissions liées à la production actuelle d’ammoniac.
Bill David, de l’Université d’Oxford
M. David a présenté le réacteur de production d’ammoniac qu’il a conçu. Un chimiste de l’Université Monash en Australie, Alexandr Simonov, est allé encore plus loin : il pense arriver en 2025 à produire commercialement, avec son entreprise JupiterIonics, de l’ammoniac à partir de l’énergie solaire et de l’électrolyse de l’eau. « En trois ans, nous avons amélioré le processus par un facteur de dix, a dit M. Simonov. Imaginez ce qui sera possible dans les prochaines années. »
De nouveaux engrais
L’ammoniac est utilisé actuellement pour fabriquer des engrais, grâce à un procédé très énergivore inventé il y a un siècle, Haber-Bosch. « Haber-Bosch a permis de révolutionner l’agriculture, mais ses températures élevées et la nécessité d’utiliser de l’hydrogène provenant de méthane sont un gros problème, dit M. Simonov. Je crois que d’ici deux décennies, nous pourrons produire des engrais à partir d’énergies renouvelables pour moins cher que Haber-Bosch. Ça va être plus lent que l’utilisation de l’ammoniac comme carburant, mais ça va venir. »
Quand pourra-t-on remplacer Haber-Bosch par l’ammoniac « vert » ? « On peut penser que d’ici 2030, on pourra introduire des petites unités de production d’ammoniac vert pour les régions mal desservies par les transports, par exemple en Afrique », a dit le chimiste d’origine russe.
L’exemple de Singapour
M. Simonov a offert une preuve de l’avenir doré de l’ammoniac vert : une entreprise de Singapour a commencé à travailler sur le premier porte-conteneurs alimenté à l’ammoniac. Le Port de Singapour a signé une entente de design l’été dernier avec les chantiers maritimes Hyundai pour une ligne de navires alimentés à l’ammoniac.
La multinationale de stockage de liquides et de gaz industriel Vopak de Singapour a pour sa part commencé à construire, dans le port asiatique, des réservoirs d’ammoniac en prévision de cette transition. « L’ammoniac est meilleur comme carburant que l’hydrogène, parce qu’il est liquide à une pression 10 fois inférieure, dit M. Simonov. On peut aussi le liquéfier à -30 °C, alors que pour l’hydrogène, c’est proche du zéro absolu [NDLR : -273 °C]. Alors on peut concevoir des réservoirs sécuritaires pour les voitures, par exemple. » Les dérivés de l’ammoniac ne sont-ils pas des polluants importants des voitures ? « Oui, mais il existe des catalyseurs pour les enlever des gaz d’échappement », dit M. Simonov.
En savoir plus
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- 10 GWh
- Quantité de stockage d’énergie installée en 2020 dans le monde
SOURCE : AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE-
- 1200 GWh
- Quantité de stockage d’énergie installée prévue pour 2030 dans le monde
SOURCE : AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE -
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- 160 millions de tonnes
- Production d’ammoniac dans le monde
source : chemical and engineering news-
- 500 millions de tonnes
- Émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à la production d’ammoniac
source : chemical and engineering news -
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- 1 %
- Proportion de l’énergie mondiale qui est destinée à la production d’ammoniac
source : chemical and engineering news -
Le défi du stockage de l'énergie - La Presse
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