Vu sous un certain angle, ce boisé a vraiment l’air d’un portrait de John Lennon. Cette prise de courant qui a la tête en bas a l’air très expressive. Cette entreprise au logo tout souriant semble plus sympathique que ses rivales. Tout ça peut avoir l’air banal, jusqu’à ce que l’intelligence artificielle s’en mêle.
On nomme paréidolie le fait de déceler les traits d’un visage humain dans des paysages, des objets ou des images qui ont tout sauf les caractéristiques d’un portrait. C’est une technique vieille comme le monde utilisée notamment en marketing pour rendre plus séduisants un commerce, un produit ou un message publicitaire. Pensez à toutes ces voitures familiales dont la calandre a l’air d’un visage souriant, à ces voitures sportives dont les phares ont la forme d’yeux fâchés ou à ces camionnettes qui ont la forme d’un cyborg pour se donner un air hi-tech…
Trompe-l’oeil
D’ailleurs, le logo en apparence tout souriant cité ci-dessus est celui d’Amazon. La flèche jaune qui pointe de A à Z sous son nom a aussi la forme d’un sourire en coin, l’air de dire : « Ah oui, mais moi, je sais ce qu’il vous faut vraiment. » La forme quasi humaine des prises électriques murales a permis pendant quelques années à Hydro-Québec de bâtir une campagne publicitaire qui a connu sa juste part de succès populaire.
Ce paysage composé d’arbres, de fleurs et d’un coin d’étang qui se transforme, quand on prend un pas de recul, en un portrait étonnamment réaliste d’une personnalité connue (ou pas) n’est pas plus vrai qu’une prise de courant qui parle. Mais on voit de plus en plus souvent de ces images, qui sont partagées sur Internet sans trop d’explications.
Dans quel coin du monde trouve-t-on un décor aussi expressif ? Nulle part. Ou, peut-être, dans le monde des licornes, où les architectes et les paysagistes s’appellent Dall-E et Midjourney. Car s’il y a un domaine dans lequel excellent les intelligences artificielles génératives, c’est bien dans la création d’images sophistiquées comme celles-là. Et il n’en faut pas plus pour créer une nouvelle tendance autour du phénomène de paréidolie.
D’autant plus qu’on n’a pas besoin en 2023 de posséder le talent d’un artiste comme Salvador Dalí pour produire des images en trompe-l’oeil. Il suffit d’utiliser les bons mots dans l’invite de commande de ChatGPT, en version GPT-4, ou dans le cas de Midjourney, le bon canal de discussion dans l’application Discord.
L’application Discord, en passant, est notamment populaire chez les amateurs de jeux vidéo parce qu’elle permet de parler en direct, à l’oral ou à l’écrit, avec d’autres joueurs. Son logo a les formes d’un gros contrôleur de jeu vidéo vu du dessus. Plusieurs y voient aussi le visage amical et souriant d’un petit androïde. La paréidolie est partout…
Et naturellement, quand on voit avec quelle habileté les IA génératives sont capables de produire des images en trompe-l’oeil, et que l’on connaît l’efficacité de cette technique pour produire l’émotion désirée de la part du public, on n’ose pas imaginer ce qu’elles peuvent faire avec les mots.
Aller trop loin
Si la paréidolie est un effet amusant des images produites par l’IA, il existe d’autres applications qui sont autrement inquiétantes. Par exemple, de tout nouveaux sites Web proposent de dénuder — carrément — les personnes qui se trouvent sur des photos qu’on leur soumet.
Après les photos et les vidéos hypertruquées, les fameux deepfakes, voici venir les « déshabillages truqués », ou deepnudes. Une IA analyse la silhouette d’une personne sous ses vêtements et produit une image où elle les fait carrément disparaître. Déjà, on trouve des dizaines de sites ou d’applications Web qui promettent de « déshabiller n’importe qui en ligne et tout à fait gratuitement ! », comme l’écrit un de ces sites, qui ajoute : « Voici l’oeuvre d’un algorithme d’IA unique qui produit une image nue à partir de photos de femmes vêtues. »
Parce qu’évidemment, ces sites proposent avant tout de dénuder des corps féminins. Les femmes de tous les âges commencent à peine à réaliser l’importance de ne pas partager de photos d’elles dans des positions ou des situations qui pourraient leur porter préjudice si jamais elles étaient publiées, et voilà qu’il faudra bientôt leur recommander de cesser de se prendre en photo, point à la ligne.
La technologie est une arme à double tranchant. L’IA générative est peut-être l’exemple le plus évident, à l’heure actuelle, de cette expression. On en voit immédiatement les bénéfices, et pourtant, chaque nouvelle application semble venir avec un risque d’abus ou de dommages toujours plus grave.
Au cours des prochains mois, les gouvernements de nombreux pays vont finir par adopter des lois qui imposeront aux créateurs de ces IA génératives d’identifier leur technologie pour les rendre responsables de ce qu’elles produisent. Certaines de ces entreprises ont déjà promis de le faire, sans attendre cette intervention législative.
Peut-être ces mesures limiteront-elles l’émergence d’applications d’IA qui peuvent manifestement porter préjudice à une partie de la population. Mais elles font réaliser que le problème dans tout ça n’est peut-être pas de nature strictement technologique…
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L'IA en trompe-l'oeil, du meilleur au pire - Le Devoir
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