PARIS | Einstein en serait «extatique»: une collaboration internationale d’astronomes a prouvé jeudi en image la présence d’un trou noir supermassif au cœur de notre galaxie, Sagittarius A*, dont l’aspect similaire à celui photographié auparavant dans une galaxie lointaine confirme les prédictions de la relativité générale.
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La collaboration Event Horizon Telescope (EHT) a présenté dans plusieurs conférences de presse simultanées la «silhouette» du trou noir se découpant sur un disque lumineux rouge-orangé de matière.
L’image ressemble à celle du gigantesque trou noir M87*, dans la lointaine galaxie Messier 87, elle-même très différente de la nôtre, et que l’EHT avait présentée en 2019.
Pour les scientifiques, c’est la preuve que les mêmes mécanismes de la physique sont à l’œuvre sur deux objets de taille très différente au cœur de deux systèmes différents.
Techniquement, on ne peut pas voir un trou noir, car l’objet est si dense et sa force de gravité si puissante que même la lumière ne peut s’en échapper. Mais on peut observer la matière qui circule autour, avant d’être happée à jamais.
«Nous avons une preuve directe que cet objet est un trou noir», s’est émue Sara Issaoun, du Centre d’astrophysique de Harvard, dans une conférence de presse à Garching en Allemagne.
Vu de la Terre, l’objet aurait la taille d’un beignet sur la Lune, a-t-elle ajouté en brandissant le beignet symbolique.
Perte d’appétit
Les trous noirs sont réputés être stellaires quand ils ont la masse de quelques soleils, ou supermassifs, quand ils ont une masse de plusieurs millions, voire milliards, de soleils. On pense qu’ils se trouvent au centre de la plupart des galaxies et qu’ils jouent un rôle clé dans leur formation.
Sagittarius A* (Sgr A*), qui doit son nom à sa détection dans la direction de la constellation du Sagittaire, a une masse d’environ quatre millions de soleils et se trouve à 27 000 années-lumière de la Terre.
Très ancien, comme notre galaxie vieille d’environ 13 milliards d’années, il a perdu son appétit et avale très peu de matière. «Si vous mangiez comme lui, ce serait l’équivalent d’un grain de riz tous les deux millions d’années», a souri Sara Issaoun.
C'est le contraire de son illustre congénère, M87*, qui festoie encore. Et les Terriens ont d’autant moins à craindre que notre planète se trouve bien loin du centre galactique.
L’existence de Sgr A* est supposée depuis 1974, avec la détection d’une source radio inhabituelle au centre de la Voie lactée. Dans les années 1990, des astrophysiciens y ont confirmé la présence d’un objet compact supermassif, découverte qui leur a valu un prix Nobel en 2020. L’image révélée jeudi apporte la première preuve visuelle de cet objet.
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Cinq années de calcul
L’EHT, un réseau international de huit observatoires radioastronomiques, avait apporté en 2019 l’image historique de M87*, un trou noir de six milliards de masses solaires dans sa galaxie lointaine, à 55 millions d’années-lumière. Avec seulement quatre millions de masses solaires, Sgr A* est un poids plume dans l'ensemble des trous noirs supermassifs.
«Nous avons deux types de galaxies complètement différents et deux masses de trous noirs très différents, mais près de leurs bords, ces trous se ressemblent étonnamment», a dit dans un communiqué Sera Markoff, coprésidente du conseil scientifique de l’EHT. «Cela nous indique que la relativité générale (avec la théorie de la gravitation) régit ces objets de près», a-t-elle ajouté.
«C’est une magnifique confirmation du fonctionnement de la gravité!», s’est félicitée auprès de l’AFP l’Américaine Andrea Ghez, l’une des lauréates du Nobel de 2020, qui espère désormais percer le mystère du processus d’accrétion, cet «influx» de matière dans le trou noir – et son «impossible sortie».
L’image présentée est le fruit de plusieurs heures d’observation réalisées essentiellement en 2017, et suivies par cinq ans de calculs et de simulations, ayant nécessité l'apport de plus de 300 chercheurs de 80 instituts.
Elle a été beaucoup plus difficile à obtenir que celle de M87* parce que le trou noir au centre de la Voie lactée est beaucoup plus petit. Le nuage de gaz l’entourant, avant d’y être avalé, met à peine douze minutes pour en faire le tour, contre plus de deux semaines pour M87*.
La luminosité et la configuration du gaz changeaient donc rapidement pendant l’observation: «C’est un peu comme si on essayait de prendre une photo claire d’un chiot qui court après sa queue», a commenté Chi-Kwan Chan, un scientifique de l’EHT.
Les deux images et leur comparaison vont permettre d’étudier plus en détail le comportement de la matière dans l’environnement le plus extrême qui soit de l’Univers, «avec des gaz chauffés à des milliards de degrés, de puissants courants magnétiques et de la matière circulant à une vitesse proche de la lumière», a expliqué à l’AFP, le Pr Heino Falcke, ex-responsable du conseil scientifique de l’EHT.
Cet environnement devrait permettre d’observer les déformations de l’espace-temps à proximité d’un objet supermassif et le comportement de la gravité, prédits dans la théorie générale de la relativité qu’Albert Einstein a postulée en 1915.
Anton Zensus, de l’Institut Max Planck, s’est risqué à imaginer la réaction du célèbre savant: «Est-ce qu’il sourirait en voyant ces centaines de scientifiques qui n’ont toujours pas prouvé qu’il avait tort? Je pense plutôt qu’il serait extatique.»
Un trou noir supermassif règne au centre de la Voie lactée - Le Journal de Montréal
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