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Wednesday, June 8, 2022

La fable de la tourte et de la tique - Géo Plein Air

  • crédit Steve Adams

Cette première partie de la fable, celle de la tourte, vous la connaissez peut-être. C’est l’histoire d’Ectopistes migratorius, la tourte voyageuse. Elle fut un temps l’oiseau le plus abondant en Amérique du Nord ; sa population aurait atteint, au milieu du XIXe siècle, entre trois et cinq milliards d’individus. Oui, vous avez bien lu : des milliards, non des millions. Lointaine cousine de la tourterelle triste de nos villes et banlieues, la tourte vivait dans le centre et l’est des États-Unis et dans le sud-est du Canada (Manitoba, Ontario et Québec).

Au printemps et à l’été, de grandes volées de l’espèce, comptant des milliers d’individus, visitaient la vallée du Saint-Laurent pour s’y nourrir de glands de chênes, de samares d’ormes et d’érables et de grains de céréales. Des envolées si denses, si étendues, selon les témoignages de l’époque, qu’elles auraient obscurci le soleil durant des journées entières. Comme une rivière de plumes dans le ciel. On raconte aussi que lorsque les tourtes se perchaient, les branches des arbres se brisaient sous le poids de tant d’oiseaux. Personne n’aurait pu imaginer qu’un jour, l’espèce allait disparaître de la surface de la Terre. C’est pourtant ce qui arriva, car on la chassa sans ménagement, au fusil et de bien d’autres manières, par exemple en tendant de larges filets ou en abattant les arbres sur lesquels les individus se perchaient pour ensuite tuer à coups de bâton tous ceux qui n’arrivaient pas à s’enfuir. L’espèce déclina rapidement et finit par s’éteindre en septembre 1914, au moment où mourut son dernier représentant, une femelle nommée Martha, gardée en captivité au zoo de Cincinnati.

La seconde partie de la fable, celle qui concerne la tique, vous ne la connaissez sans doute pas. Il y a quelques années, des chercheurs ont émis l’hypothèse que la disparition de la tourte avait joué un rôle important dans la progression d’une maladie qui touche aujourd’hui les humains d’Amérique du Nord, celle de Lyme. Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que surabondantes à l’époque, les tourtes entraient en compétition avec de nombreuses autres espèces se nourrissant de fruits, de noix et de graines, dont la souris à pattes blanches. La disparition de l’oiseau dans les écosystèmes naturels du continent aurait grandement favorisé la souris qui a pu, dès lors, compter sur des quantités inespérées de nourriture. Dans les décennies suivantes, sa population aurait considérablement augmenté.

Quel est le rapport entre la souris et la maladie de Lyme ? Le petit rongeur en question est une espèce dite réservoir : il héberge entre autres la bactérie responsable de la maladie, Borrelia burgdorferi. Et voici qu’entre en scène la tique à pattes noires, l’espèce responsable de la transmission de la maladie de la souris à l’humain : au stade larvaire, la tique s’abreuve du sang des souris et autres micromammifères ; au stade adulte, elle s’en prend à de gros mammifères, sans discernement, comme le cerf ou l’Homo sapiens, propageant ainsi la maladie chez les humains.

La maladie de Lyme est désormais une des affections les plus fréquentes au sud de la frontière canadienne ; son incidence y dépasse le VIH. Auparavant cantonnée au centre et à l’est des États-Unis, elle gagne du terrain chaque année. Le Québec ne fait pas exception : le nombre de cas signalés annuellement est passé en dix ans de 32 (en 2011) à 463 (en 2021).

La disparition d’une espèce s’accompagne souvent de répercussions difficiles à prévoir à long terme sur les autres espèces avec qui elle est en relation. Il aura fallu une centaine d’années pour mesurer les conséquences écologiques de la surabondance de la souris à pattes blanches et, par ricochet, sur la progression de la tique et de la maladie de Lyme qui lui est associée. Le hasard a ici, en quelque sorte et par des voies tortueuses, châtié l’humain pour ses agissements de jadis. La vengeance est un plat qui se mange froid.

La morale de cette fable ? On se surprendra toujours de la complexité et de l’étendue des liens qui unissent les êtres vivants sur notre petite planète bleue. Une galaxie d’interrelations sans fin.

Michel Leboeuf est écrivain, biologiste et directeur général de la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière.

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