La communauté scientifique québécoise veut être prête. Si des télescopes devaient détecter une signature chimique singulière dans l’atmosphère d’une exoplanète, pourrait-on dire qu’il y a là une trace de vie ? Physiciens, philosophes et biologistes se réunissaient lundi au 90e Congrès de l’Acfas pour en discuter.
« Imaginez que vous êtes à bonne distance dans l’espace et que vous regardez la Terre. Seriez-vous capable de savoir s’il y a de la vie sur cette planète ? » demande l’astrophysicien René Doyon, directeur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes et professeur de physique à l’Université de Montréal, en ouverture d’un colloque sur l’origine de la vie.
En décembre 1990, la sonde spatiale Galileo, envoyée pour étudier Jupiter, a tourné son miroir vers notre planète bleue. L’abondance d’oxygène gazeux, l’étrange présence de méthane (issu de la digestion des vaches) et le « pic » d’absorption de la lumière rouge (associé à la photosynthèse) signalaient la présence de vie sur Terre. La preuve en était faite…
Mais qu’en est-il des mondes dont nous ne savons presque rien et qui se trouvent à des années-lumière d’ici ? Déjà, on connaît 5000 exoplanètes. On sait qu’il y en a des milliards dans la zone habitable de leur étoile. Les « biosignatures », qui révèlent la présence d’un gaz dans l’atmosphère de ces candidates, ne seront pas sans ambiguïté. L’oxygène n’est pas synonyme de vie. Une bonne dose d’interprétation sera essentielle pour affirmer que des microbes extraterrestres sont en cause.
Ce sera « très controversé » quand les premiers scientifiques diront qu’on a trouvé de la vie ailleurs, avertit M. Doyon. C’est seulement quand on aura repéré le même motif sur plusieurs exoplanètes de type terrestre — ce qui n’arrivera probablement pas avec le télescope James-Webb, en fonction depuis l’an dernier, mais plutôt avec ses successeurs — que la communauté pourra commencer à délier sa langue, d’après lui.
Mais, en fait, qu’est-ce que la vie qu’on recherche, exactement ? Le philosophe des sciences Frédéric Bouchard, de l’Université de Montréal, suggère à ses collègues réunis à l’Acfas de ne pas s’enfermer dans une conception restrictive, mal définie et injustement limitée à la vie telle que nous la connaissons, articulée autour du carbone, de l’eau et de l’oxygène.
« Augmentez la radiation solaire de 10 %, et l’organisation de la complexité sur Terre serait radicalement différente de ce qu’on connaît actuellement, dit M. Bouchard. Ce n’est pas une mauvaise hypothèse de regarder ces signatures-là [l’oxygène et le méthane, par exemple]. On peut commencer par là pour des raisons logistiques, mais il faudra aussi chercher d’autres comportements complexes. »
Levures extrémophiles
Tout ce qui est vivant évolue. Mais tout ce qui évolue en réaction aux pressions environnementales est-il vivant ? Pas nécessairement. L’évolution par l’entremise de la sélection naturelle peut exister en dehors du cadre traditionnel de la biologie telle qu’on la connaît, souligne le philosophe Bouchard.
Un exemple dans un système solaire près de chez vous : dans l’atmosphère de Vénus, les instruments actuels révèlent la présence « d’une chimie qu’on ne comprend pas », souligne l’astrophysicien Étienne Artigau, de l’Université de Montréal. Les réactions photochimiques complexes qui se déroulent là satisfont peut-être à une définition permissive du vivant. Des missions prévues dans les années 2030 iront voir.
Une autre mission, Dragonfly, ira voir Titan, une lune glacée de Saturne, où l’on soupçonne aussi que des réactions chimiques très complexes ont lieu. « Si on voit une molécule qui se scinde en deux », et qui ainsi se réplique, d’une certaine façon, « qu’est-ce qu’on met en une du New York Times ? » demande M. Artigau. Dit-on que nous avons trouvé de la vie ailleurs que sur Terre ?
Figurait également parmi les présentateurs Carla Bautista, doctorante en biologie à l’Université Laval, qui étudie l’adaptation des organismes aux conditions extrêmes : salinité, rayonnement, acidité, température, pression, etc. C’est dans ces milieux hors norme qu’on imagine que la vie apparaît.
Dans son laboratoire, Mme Bautista cultive des levures sous des lampes ultraviolettes (UV). Les levures évoluent à la vitesse grand V : en un mois, on peut voir 100 générations se succéder. La chercheuse teste ainsi les « limites » de l’adaptation de ces organismes. Et par association, elle espère mettre le doigt sur des limites plus générales de la vie.
Si des astrophysiciens trouvaient une bonne planète candidate, la jeune chercheuse pourrait tester ses levures sous un rayonnement UV équivalent à celui de ce monde d’outre-espace. « Bien sûr, on peut seulement tester la vie telle qu’on la connaît, précise-t-elle. Mais au moins, avec ces expériences, on peut obtenir des informations utiles sur les limites d’adaptation aux conditions stressantes. »
La vie extraterrestre peut bien se tenir : les scientifiques québécois l’attendent de pied ferme.
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Comment reconnaître la vie sur d'autres planètes - Le Devoir
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