Prevost a lancé en janvier son nouvel autocar H3-45, le vaisseau amiral de sa gamme. Derrière cette refonte majeure se profilent des centaines d’heures de réflexion d’une petite firme de design industriel et une étroite collaboration : Brio Innovation est « l’arme secrète » de Prevost. Courte histoire illustrée d’un long projet de design.
Sur la route du design
Le design du nouvel autocar Prevost H3-45 est le fruit d’une longue complicité entre le constructeur de Sainte-Claire et la firme de design industriel Brio Innovation. En visioconférence, le président de Brio, Luc Bourgeois, partage son écran : « Je vais passer au travers de quelques documents, et vous allez comprendre assez vite notre relation et notre implication avec Prevost. »
1. Idéation préliminaire
D’abord, les designers de Brio Innovation ont jeté des idées sur papier. Sur tablette graphique, en fait. Luc Bourgeois fait défiler sur son écran une série d’esquisses d’autocars bien profilés, toutes subtilement différentes par le chanfrein de leur bas de caisse, leurs lignes de glaces latérales ou la sculpture de leur face avant. Du design prospectif, en quelque sorte, pour repousser les limites. « À partir de ces concepts très préliminaires, il y a eu d’autres versions qui seront raffinées, explique-t-il. Elles ne seront jamais produites en tant que telles, parce que c’étaient des concepts qui demandaient une refonte majeure du châssis. »
2. Premiers concepts
Le directeur du design chez Prevost, François Trépanier, avait défini l’esprit de ce qui amènerait « la reconnaissance de la marque par le produit ». « On voulait qu’il soit intimidant, majestueux, qu’il ait de la prestance », formule Luc Bourgeois. « On ne voulait pas des lignes trop fluides ou organiques. Il y a beaucoup de tension. Les découpes sont franches, les lignes sont tendues. Il y a une certaine agressivité, une rigidité qui le rend imposant, et à la limite intimidant. C’est l’objectif. » De ces trois concepts préliminaires réalisés par ordinateur, le concept final retiendra le décrochement de la glace de portière de la proposition du centre et la configuration faciale de celle de droite.
3. L’effet choc des pare-chocs
Même une fois que l’organisation faciale est à peu près fixée, le travail se poursuit pour raffiner les détails. Ici, quelques-unes des innombrables itérations qui modifient subtilement la forme des phares et des renfoncements inférieurs du pare-chocs. « Il y a eu des sketchs, c’est incroyable, commente Luc Bourgeois. Il y a dû avoir 30 rounds de sketchs pour l’extérieur. Quand je parle de round, c’est qu’on retourne faire des dessins pendant une ou deux semaines à la suite des discussions qu’on a eues. On les présente à nouveau, on les analyse, on les fait évoluer. »
4. Des lignes brisées
Le corps d’un autocar est similaire à un long tube vitré, fermé par les bouchons des faces avant et arrière. « On change les bouts, et ça change toute l’allure du véhicule », observe Luc Bourgeois. Contrastant avec les lignes horizontales des modèles actuels (précédent H3-45 à gauche et X3-45 remodelé à droite), la face avant du nouveau H3-45 montre des ruptures qui accentuent son impression de dynamisme.
5. Un clin d’œil
« On est allés jusqu’à dessiner les phares dans le moindre détail », lance Luc Bourgeois, pendant qu’il fait apparaître un bloc optique à l’écran. Malgré sa forme complexe, il affleure parfaitement la surface de la carrosserie. « Ce n’est pas du Monsieur Patate avec des phares de camion plantés dans des ailes thermoformées ! », s’exclame-t-il. « C’est de la qualité automobile faite par un manufacturier asiatique. Il fait de l’équipement d’origine pour des constructeurs automobiles. »
6. Une signature nocturne
Même la signature lumineuse des blocs optiques dans l’obscurité a fait l’objet de nombreuses propositions, soigneusement étudiées chez Prevost. « La conception, les esquisses préliminaires, le développement détaillé de tout ça : c’est évolutif », souligne Luc Bourgeois.
7. Effet miroir
Les rétroviseurs sont des appendices nuisibles sur le plan aérodynamique. « Ces grands plans viennent perturber l’écoulement d’air, et pas à peu près, observe Luc Bourgeois. On les a retravaillés avec le premier objectif d’améliorer l’aérodynamisme. » Les designers ont proposé un rétroviseur dont l’arête frontale, comme une étrave de navire, divise le flux d’air pour limiter les perturbations au contact de la carrosserie. « Le bras est un bras double, avec une ouverture dans le milieu. Il a été évidé dans le centre pour créer deux profils beaucoup plus fins. »
8. Le résultat
« Dans le nouveau H3-45, 95 % de toutes les surfaces visibles et touchables de l’extérieur et de l’intérieur ont été regardées par le design, fait valoir Luc Bourgeois. On a placé chacune des lignes et on a modélisé la surface de tout ce qui est visible à l’intérieur et à l’extérieur. » Les ingénieurs et techniciens de Prevost ont repris ces fichiers pour les concrétiser. « Ce qui se passe en arrière, c’est monstrueux comme travail pour amener ça en production », apprécie le président de Brio Innovation. « On est vraiment impliqués, pour que toutes les lignes soient à la bonne place, pour qu’on ait vraiment le feeling désiré pour les surfaces qui appartiennent au design. »
9. Une maquette pleine grandeur
« On fait évoluer ça, jusqu’à ce que ça finisse avec des modèles d’argile à l’échelle : des maquettes vraie grandeur de l’extérieur – c’est vide, là-dedans – de ce à quoi ça allait ressembler », relate le président de Brio Innovation. Dans l’usine de Prevost, les maquettes de l’avant et de l’arrière ressemblent à des tronçons d’autocar coupés à la guillotine. « C’est carrément irréprochable comme qualité de présentation », ajoute-t-il.
10. Efficacité aérodynamique
Avec son profil aérodynamique, le nouveau H3-45 de Prevost annonce une réduction de consommation d’essence de 12 % par rapport au modèle précédent. « Quand on regarde la consommation d’un véhicule normal, le fait qu’il dure 20 ans et qu’il roule au-dessus d’un million de kilomètres, c’est énormément d’argent, assure Luc Bourgeois. Pour le nouveau produit Prevost, c’est un atout majeur. » Mais cet aérodynamisme supérieur a également eu des répercussions à l’intérieur du véhicule.
Vigoureux à l’extérieur, soyeux à l’intérieur
L’aérodynamisme amélioré de la carrosserie avait également un effet sur le design de l’aménagement intérieur, entièrement revu. Visite guidée : montez à bord.
1. Le tableau de bord
La meilleure pénétration dans l’air était notamment le résultat d’un pare-brise plus incliné, qui réduisait en revanche l’espace du poste de conduite. « On n’a pas voulu reculer pour autant le siège du conducteur », observe Luc Bourgeois. Il a fallu créer de l’espace autrement. Le tableau de bord a été aminci et reconfiguré. Sur la proposition illustrée ici, même le médaillon qui orne le volant a été soigneusement dessiné pour rappeler au chauffeur qu’il conduit (fièrement) un autocar Prevost.
2. Des études ergonomiques
Il s’ensuivait une refonte complète du poste de conduite, revu par Brio Innovation dans ses moindres détails. « On parle de plusieurs rounds, de semaines, de mois d’idéation pour une zone de conduite, décrit Luc Bourgeois. On parle d’ergonomie, de champs de vision, d’accès, d’obstruction, de miroirs, de piliers A. » Ici, détail d’une planche explicative qui montre les zones de distribution des commandes selon leur importance et leur fréquence, ainsi que des études ergonomiques du champ de vision. Dans leurs fichiers 3D, les designers ont placé des caméras virtuelles « au niveau des yeux d’une femme 5e percentile, d’un homme 95e percentile, avec différentes positions de conduite », pour reproduire leur point de vue.
3. Bienvenue à bord
Alors que la carrosserie devait être dynamique, quasi intimidante, « à l’intérieur, il était important pour nous que ce soit invitant, confortable, réconfortant à la limite, pour le passager », indique Luc Bourgeois. Le véhicule devait être accueillant dès son escalier d’accès, dont il montre une des esquisses de travail. « C’est très fluide. On a veillé à ce que l’escalier tourne progressivement, que la circulation ait l’air facile et douce vers la zone passager. »
4. Un poste de pilotage
« L’ancien tableau de bord datait, constate le président de Brio. Il y a des composantes qui s’ajoutent au fil du temps, qui font que ça devient un peu désorganisé, quand la base est relativement vieille. C’était l’opportunité de remettre tous les requis sur la table et de dire : qu’est-ce qui doit disparaître, quelles sont les nouvelles choses à intégrer ? » Brio Innovation a revu toute la disposition de l’instrumentation. « On veut que le conducteur se sente important, fier, en contrôle de cet appareil imposant. » Bref, « c’est le pilote de l’avion, dans son autocar ! »
5. Une (grosse) maquette
Pour mieux percevoir les volumes, Prévost a réalisé une maquette pleine grandeur de l’intérieur de la section avant du véhicule, dont Luc Bourgeois fait apparaître les images sur son écran partagé. « Tu as la zone très souple, très fluide pour l’entrée des passagers, avec des volumes un peu plus adoucis, bien éclairés, commente-t-il. Il y a une cassure quand on tombe dans la zone conducteur. C’est pour dissocier les deux. »
6. Une expérience apaisante
À l’intérieur du véhicule, « énormément d’attention a été portée à l’expérience, quelque chose d’apaisant, comparable avec ce qui se fait de mieux dans le transport à l’heure actuelle ». Les porte-colis semblent se fondre dans le plafond, éclairé d’une lumière rasante. « On voulait que les porte-colis contribuent à donner une impression de largeur au plafond, en utilisant une couleur très proche de celle du plafond. » L’intensité et la coloration de cet éclairage indirect peuvent être modifiées, par exemple pour le faire tendre vers un bleu azuré. « C’est emprunté à ce qu’on voit dans l’aviation, où ça donne de la hauteur, ça peut rappeler le ciel. »
7. Une main courante peu courante
Sous l’alignement de porte-colis, la main courante, méritant son nom, court autour d’un long anneau oblong « qui vient encadrer la zone technique, une bande noire dans laquelle on a placé des unités de contrôle pour chacun des passagers ».
8. Le passager aux commandes
Même les commandes des diffuseurs d’air et des lampes des passagers, intégrées dans la zone technique, ont fait l’objet des soins attentifs des designers de Brio. « Dans le fin détail, précise Luc Bourgeois. C’est nous qui avons fait ces propositions. »
9. Mince, quel siège !
« Qu’un designer dessine un cellulaire ou un autobus, on est tous à la recherche d’un quart de pouce de plus », expose Luc Bourgeois. Ce quart de pouce, Brio l’a trouvé et multiplié en concevant un tout nouveau siège de passager. « Avec un dossier aminci, dit-il, tu viens de donner de l’espace à tout le monde. » Pas au détriment du confort, toutefois. Il faut alors compter sur la finesse de l’ergonomie plutôt que sur l’épaisseur des mousses. « Des groupes de discussion ont été faits pour des tests de confort avec des sièges de la compétition et différentes géométries. »
10. Un impact multiplié par 56 places
« Avoir refait le siège a eu un impact majeur dans le look du véhicule, constate le président de Brio. Ça occupe 75 % de ton champ de vision et tu as conçu un seul siège. » Ce siège est proposé avec divers recouvrements, depuis le velours d’entrée de gamme jusqu’au cuir surpiqué. Dans les dossiers sont incrustées de petites plaques métalliques portant la marque Prevost, « enfoncées dans le cuir comme un sceau de qualité ». « Ce sont des petites pièces, mais au niveau de la perception et de la finition, ça joue énormément. »
L’arme secrète
Quand le nouvel autocar H3-45 de Prevost a été présenté, le 12 janvier dernier à l’UMA Expo (United Motorcoach Association) à Orlando, en Floride, le designer industriel Luc Bourgeois était certainement parmi les plus heureux de le voir apparaître.
« On attendait ce moment-là avec impatience », avait alors confié le président de la firme de design industriel Brio Innovation, qui avait apporté une contribution primordiale à sa conception. « Ça réveille quasiment des souvenirs, parce qu’avant qu’il soit produit et présenté au public, surtout avec la COVID, on parle d’années qui se sont écoulées, pratiquement. »
Brio Innovation fournit des services de design industriel à Prevost depuis bientôt 20 ans.
« On est leur arme secrète », affirme Luc Bourgeois.
Il calcule que depuis le début de leur étroite collaboration, 19 designers industriels et techniciens en design différents sont intervenus de façon ponctuelle ou continue dans les divers projets de Prevost.
« La somme d’heures investies et de gens passionnés qui ont travaillé pour ce client-là, chez nous, c’est incroyable ! », lance-t-il avec transport.
La petite firme derrière le gros autocar
Brio Innovation a été fondée en 2004 par Luc Bourgeois et François Couillard, deux designers industriels qui combinaient une large expérience dans le design de transport.
Presque immédiatement, la petite firme a entamé une collaboration avec le directeur du design de Prevost à l’époque, François Trépanier.
Hormis François Trépanier et son collègue Christian Héroux, qui l’a remplacé comme directeur du design en 2020, Prevost n’avait pas de service de design.
« Ça n’a pas tellement pris de temps qu’on est devenus, dans le fond, son équipe », relate Luc Bourgeois.
Chez Prevost, le directeur du design « est un joueur super important, et je pense que ça joue énormément », insiste-t-il. « Il est nos yeux, nos oreilles, notre porte-parole. C’est lui qui défend le design à l’interne, d’égal à égal avec les autres départements. »
François Trépanier a distillé l’essence de la famille d’autocars Prevost – et on ne parle pas ici de carburant. Il a défini les caractéristiques de son image de marque et de sa personnalité. En somme, son ADN.
C’est en suivant ces balises que Brio Innovation élabore depuis lors ses concepts avec Prevost. « Tout ce qu’on propose est en ligne avec ça. »
Une première version
Les designers de Brio ont d’abord travaillé sur la carrosserie de la précédente version de l’autocar H3-45, lancée au début des années 2010.
Ils lui ont donné ce faciès dynamique, frondeur, qu’on pourrait assimiler à un casque d’hoplite grec, ainsi que cette face arrière bien découpée, puissante, aux arêtes franches.
Brio a fait ensuite la déclinaison de son petit frère, le modèle X3-45, destiné aux liaisons périurbaines.
Le vaisseau amiral
Mais dès 2012, Brio Innovation avait entamé la refonte fondamentale du H3-45, le gros autocar interurbain de 56 passagers. Prevost souhaitait raffiner l’aérodynamisme de son vaisseau amiral, qui présente, comme ses semblables, la forme d’une boîte à chaussures aux arêtes à peine adoucies.
Ce n’était pas seulement un objectif de design. Le produit allait en tirer plein d’autres avantages. Sauf que ça nous a permis de le revoir beaucoup plus en profondeur que ce qu’on avait eu l’occasion de faire dans le passé.
Luc Bourgeois, cofondateur de Brio Innovation
Selon les phases de conception, entre un et trois employés de Brio sont attitrés, quasi en permanence, aux contrats avec Prevost.
« On parle de modélisation, de fichiers qui servent à la production, décrit Luc Bourgeois. Ce n’est pas juste des sketchs et des discussions. »
Au plus fort des dernières étapes de développement du nouveau H3-45, cinq « ressources au profil plus technique » se consacraient au projet.
Les fluctuations dans l’intensité du travail, donc du personnel et des compétences à y attribuer, sont un des principaux défis de la petite firme, qui comptait près d’une vingtaine de designers et techniciens (hommes et femmes) au plus fort de sa croissance, avant la COVID-19. Depuis ses débuts, Brio a accompagné plus d’une centaine de manufacturiers canadiens et américains, tant dans le transport que dans le design de produits.
Pour Brio Innovation, le nouveau H3-45 constitue « en quelque sorte un aboutissement », conclut Luc Bourgeois. « Il représente l’intégration ultime de tous les désirs et de toutes les bonnes idées accumulées au fil des ans, autant au niveau du style, de la fonctionnalité et de l’ergonomie que de l’expérience usager en général. »
Les secrets de design d'un autocar - La Presse
Read More
No comments:
Post a Comment