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Friday, October 20, 2023

La science au secours des frênes - Radio-Canada.ca

Pour l’instant, rien ne semble freiner l’agrile du frêne. Après avoir tué des millions d’arbres en Amérique du Nord, l’insecte a mis à peine cinq ans à s’installer dans tous les quartiers de Québec. Reste que même si les abattages s’accélèrent, les chercheurs qui s’activent en laboratoire espèrent toujours limiter sa propagation.

L’agrile n’a pas chômé depuis son arrivée en Amérique. Débarqué aux États-Unis dans les années 1990 – probablement dans des palettes de bois importées d'Asie –, il a semé la désolation dans une trentaine d’États américains avant de faire son entrée au Canada, en 2002.

De l’Ontario, il est monté vers Montréal, puis sur Québec. Il est présent du Manitoba jusqu’à la Nouvelle-Écosse. Il menace toutes les essences de frênes du continent, sans exception, confirme l’entomologiste Éric Bauce, de l’Université Laval.

Après l’avoir repéré sur la rue du Parc, près des Plaines, en 2017, la Ville a dû se résoudre à mettre en branle le seul plan possible vu les circonstances : l’abattage planifié de ses frênes. Ce qui n’a pas empêché l’agrile de se propager sur tout son territoire.

Trois frênes marqués pour l'abattage sur la rue du Parc à Québec.

Trois frênes marqués pour l'abattage, sur la rue du Parc, en mars 2018

Photo : Radio-Canada / Jonathan Lavoie

L’infestation est pernicieuse, parce qu’elle est d’abord invisible. Une femelle commence par pondre ses oeufs sur un frêne. Puis les larves creusent des galeries sous l'écorce pour se nourrir. Leur accumulation tue l’arbre très vite, en deux ou trois ans. Chaque arbre touché infeste ses voisins à son tour. Et l’insecte se répand ainsi de manière exponentielle.

Après avoir éliminé 5000 frênes urbains dans les quartiers centraux, Québec s’attaque maintenant à ceux situés dans les quartiers au nord de la ville.

La saison d’abattage, c’est l’automne et l’hiver, quand les larves sont en dormance. Ces semaines-ci, on va abattre un peu plus de 1000 frênes de milieu urbain.

Une citation de Christian Bélanger, conseiller en environnement à la Ville de Québec.

Le plan est de maintenir la cadence, jusqu’à ce que la quasi-totalité des 12 000 frênes toujours debout aient été remplacés par des essences différentes. Pour ce qui est des boisés, le tiers des 120 000 frênes dénombrés doivent avoir été coupés d’ici 2032 – les plus dangereux. Les deux tiers restants seront laissés à leur sort.

Tous nos frênes sont-ils condamnés à disparaître pour autant? Pas nécessairement. Car même si la situation semble désespérée pour l’instant, les travaux de plusieurs chercheurs, qui gardent espoir de lui venir en aide, suscitent un soupçon d’optimisme.

Des petits frênes cultivés en laboratoire

Des petits frênes cultivés en laboratoire

Photo : Gracieuseté / Nathalie Isabel

Des frênes protégés grâce à leur bagage génétique

Commençons par une nouvelle qui a étonné bien des scientifiques : après des années à voir tomber les frênes les uns après les autres, il semble qu’on ait débusqué plusieurs arbres résistants aux États-Unis.

C’est une belle surprise. Car si les frênes d’Asie ont développé, au fil du temps, une immunité qui leur permet de cohabiter avec l’agrile, la majorité des frênes d’ici n’ont pas eu le temps de co-évoluer avec lui. Ce qui explique que le bagage génétique des survivants nord-américains soit actuellement sous le microscope des chercheurs.

Visite des installations de la chercheuse Jennifer Koch, en Ohio

Visite des installations de la chercheuse Jennifer Koch, en Ohio

Photo : Gracieuseté / Nathalie Isabel

Nathalie Isabel, chercheuse au Centre de foresterie des Laurentides, faisait partie des sceptiques, jusqu’à ce qu’elle voit de près les travaux de la scientifique américaine Jennifer Koach, au laboratoire du US Forest Service, en Ohio.

Après avoir ramené sur place des branches prélevées sur les arbres survivants, on les a greffées pour en faire des copies, puis on a testé leur résistance en les mettant en contact avec des oeufs d’agrile. Dans certains cas, les larves se sont développées et ont tué l’arbre. Mais dans d’autres, leur développement s’est interrompu, ou n’a même jamais commencé. Et cette résistance a aussi été observée chez les descendants de ces arbres.

Il y a différentes réponses, et ce n’est pas une résistance qui est causée par un seul gène, mais par plusieurs. Ça veut dire qu’il y a de l’espoir. Ça veut dire qu’en croisant des individus, on peut acquérir un certain degré de résistance.

Une citation de Nathalie Isabel, chercheuse scientifique, Centre de foresterie des Laurentides
Des arbres potentiellement résistants, en Ohio, et de jeunes frênes en attente d'être testés contre l'agrile, en laboratoire

Des arbres potentiellement résistants, en Ohio, et de jeunes frênes en attente d'être testés contre l'agrile, en laboratoire

Photo : Gracieuseté / Nathalie Isabel

Les recherches qui se poursuivent maintenant de ce côté-ci de la frontière portent sur le frêne noir, une espèce indigène, qui ressemble beaucoup au frêne de Mandchourie, une essence asiatique résistante. Or, en laissant une partie des frênes debout dans ses boisés, la Ville de Québec pourrait jouer un rôle bienvenu dans ces recherches. On pourrait constater s’il y a des arbres résistants dans quelques années, parmi les deux tiers des frênes qui ne seront pas abattus.

Parallèlement à ces travaux, l’équipe de Nathalie Isabel s’occupe, avec l’aide du Centre national des semences de Ressources naturelles Canada, de récolter un maximum de semences de frênes pendant qu’il en est encore temps.

Récolte de semences de frênes sur le terrain

Récolte de semences de frênes sur le terrain

Photo : Gracieuseté / Nathalie Isabel

On se dit qu'à tout le moins, si on n’est pas capable de lutter contre l’agrile, si les arbres meurent tous, on n’aura plus de semences en réserve. Il y a donc un gros effort à faire du côté de la récolte et de la conservation des semences pour le futur.

Une citation de Nathalie Isabel

Une récolte des feuilles de frênes noirs est aussi lancée. L'étude de leur bagage génétique pourrait permettre de sélectionner des arbres capables de résister non seulement à l'agrile, mais aussi aux changements climatiques.

Des guêpes tout droit sorties du film Alien

Une autre façon de lutter contre l’agrile, c’est d’importer ici ses ennemis naturels. Or, parmi ceux qui l’ont empêché de proliférer en Asie, on compte plusieurs espèces de guêpes parasitoïdes. À la manière du célèbre prédateur du film Alien, ces guêpes pondent leurs œufs dans ceux de l’agrile, ou dans les larves.

Les guêpes Tetrastichus planipennis et Oobius agrili sont utilisées pour lutter contre l'agrile du frêne.

Les guêpes Tetrastichus planipennisi et Oobius agrili sont utilisées pour lutter contre l'agrile du frêne.

Photo : Radio-Canada

L’idée d’en importer ici s’est d’abord imposée aux États-Unis, où on l’a fait avec d’infinies précautions. On ne voulait surtout pas contribuer à répandre dans la nature un nouvel insecte dommageable à notre écosystème. L’expérience s’est étendue depuis au Canada, où elle s’annonce plutôt prometteuse.

Au Canada, avec la première espèce, Tetrastichus planipennisi, sur les 16 sites, elle s’est établie sur 13. C’est bon. On la relâche pendant deux ans, et on veut que ça devienne un facteur de contrôle naturel. On ne compte pas éradiquer l’agrile. On veut exercer un contrôle sur sa population pour qu’il y ait moins de pression sur les frênes.

Une citation de Véronique Martel, chercheuse au Centre de Foresterie des Laurentides

Pour protéger les arbres plus matures, il a aussi fallu trouver des guêpes capables de percer l’écorce de gros frênes, les plus petites n’étant utiles que pour protéger les jeunes arbres. La bonne nouvelle, c’est que sur les quatre espèces de guêpes parasitoïdes étudiées à ce jour, trois ont réussi à s’adapter avec succès à notre climat.

Une main manipule délicatement des guêpes minuscules

Cette guêpe minuscule, insère ses œufs, au travers l’écorce de l’arbre, directement dans la larve de l'agrile du frêne

Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Il est encore trop tôt pour dire si le premier contingent de petites guêpes relâchées dans la région de Québec est bien implanté. L’essai est toujours en cours au bois de Coulonge et sur les plaines d’Abraham. Mais n’espérez pas les débusquer : elles sont vraiment minuscules, précise Véronique Martel.

Des champignons presque magiques

Développés par le professeur Robert Lavallée, en partenariat avec l’INRS, les pièges à champignons posés pour lutter contre l’agrile sont une avancée toute récente, mais qui a donné rapidement des résultats. Les recherches conduites sur le terrain, notamment à Québec, ont mené à la commercialisation du produit, connu sous le nom de Fraxi Protect.

Le champignon utilisé, le Beauveria bassiana, est létal pour l’agrile.

Un agrile du frêne mort à la suite d'une contamination au beauveria bassiana

Un agrile du frêne mort à la suite d'une contamination au Beauveria Bassiana

Photo : Institut Armand-Frappier

Pour attirer l’insecte, les chercheurs ont eu l’idée d'utiliser le piège dont on se servait pour détecter les quantités d'agriles présentes sur le terrain. Sauf que cette fois, après être tombé sur un coussinet rempli de spores de champignons, l’insecte peut ressortir. C’est ce qui lui permet de répandre l’infection au sein de sa colonie. La Ville a participé au protocole de recherche, alors que le produit était encore en cours d’expérimentation.

Un piège rempli de spores de champignon Beauveria bassiana, dans un superbe frêne européen des Plaines d'Abraham

Un piège rempli de spores de champignons Beauveria bassiana, sur les plaines d'Abraham

Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée

En une semaine, les études montrent que la totalité des insectes touchés meurt. Ça diminue la quantité d’adultes, ç'a donc un impact sur les pontes, on vient donc diminuer l’impact sur les frênes dotés des pièges.

Une citation de Véronique Martel, chercheuse au Centre de Foresterie des Laurentides – Lutte biologique contre l’agrile

Encore faut-il que les insectes se laissent prendre. Les pièges font diminuer la population d'agrile de 40 % sur le terrain, selon les études. Donc, ça peut aider, constate l’ingénieur forestier Marc Pelletier. Et on peut s’en servir pour protéger plusieurs arbres à la fois.

Un employé de Parc Canada regarde ses arbres avec un apparent optimisme

Pour Marc Pelletier, ingénieur forestier à la Commission des champs de bataille nationaux, chaque frêne sauvé est une petite victoire.

Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée

Prolonger la vie des frênes grâce aux insecticides

Si la Ville de Québec continue d’ouvrir sa porte aux projets de recherche, c’est aussi le cas sur les Plaines. En plus de participer à l’étude en cours sur les guêpes parasitoïdes et d’utiliser des pièges à champignons, Marc Pelletier, l’ingénieur forestier de la CCBN, recourt aussi aux insecticides pour protéger ses plus beaux arbres.

Un frêne superbe, sur lequel est suspendu un piège à champignon, sur les Plaines. On devine à gauche son voisin, déjà malade malgré les injections.

Le frêne européen considéré comme le plus beau des Plaines, protégé à renfort d'insecticide et de pièges à champignons.

Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée

Il ne s’agit cependant pas d’une solution miracle. Le produit doit être réinjecté tous les ans, et il n’empêche pas certains frênes de dépérir, ce qui peut mener à des choix difficiles.

C’est ainsi que pour sauver son plus beau spécimen, un frêne européen de 160 ans, Marc Pelletier pourrait devoir abattre son voisin, visiblement affaibli malgré les traitements.

Est-ce que je dois le sacrifier pour sauver l’autre? C’est en discussion. Parce que dans son cas, ça me fait un foyer de plus de prolifération de l’insecte. On a déjà éliminé plusieurs frênes, dans un rayon de 200 mètres.

Une citation de Marc Pelletier, ingénieur forestier pour la Commission des champs de bataille nationaux
Deux frênes touchés par l'agrile sur les Plaines, malgré leurs injections à l'insecticide et leurs pièges à champignon.

Deux frênes touchés par l'agrile sur l'espace gazonné des Plaines, malgré leurs injections à l'insecticide et leurs pièges à champignons.

Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée

En quête de la meilleure protection possible, Marc Pelletier s'est inspiré d'un protocole suivi par la Ville de Winnipeg pour les injections d'insecticides. Il alterne entre deux produits : l’IMA-Jet et le Tree-Azin, auquel recourt la Ville de Québec.

Malgré ses efforts, il ne pense tout de même sauver qu’une quinzaine de ses plus beaux frênes, sur les 200 que compte l’espace gazonné. Et la Ville ne compte guère en sauver davantage.

Quelques spécimens seront peut-être injectés à plus long terme, mais ça ne pourrait être que quelques centaines, sur les 13 000 frênes urbains dénombrés au début de l’épidémie

Une citation de Christian Bélanger, conseiller en environnement à la Ville de Québec
Des frênes en cours d'abattage dans le boisé entourant l'escalier du Cap-Blanc, sur les Plaines d'Abraham

Des frênes en cours d'abattage dans le boisé entourant l'escalier du Cap-Blanc, sur les plaines d'Abraham

Photo : Gracieuseté / Marc Pelletier

À ce stade de l’épidémie, l’insecticide s’avère surtout utile pour éviter de couper trop de grands frênes en même temps. En étalant les abattages, on se donne quelques années pour laisser pousser les arbres de remplacement.

Quiconque veut en profiter a cependant tout loisir de le faire. Il suffit de faire évaluer son arbre par un technicien qualifié. Québec – comme Lévis – offre aussi la possibilité de profiter du même prix de gros qu’elle sur le Tree-Azin.

Le rond vert sur cet arbre de la rue du Parc indique qu’il a été traité à l’insecticide. Les arbres bientôt traités portent un rond blanc, et ceux à abattre, un carré rouge.

Le rond vert sur cet arbre de la rue du Parc indique qu’il a été traité à l’insecticide. Les arbres bientôt traités portent un rond blanc, et ceux à abattre, un carré rouge.

Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée

Des tests rapides

Maintenant, comment être sûr que recourir à l’insecticide en vaut la peine, si l’infestation est d’abord indétectable à l’oeil nu?

C’est là qu’arrive en scène le petit dernier sur le front de la recherche : le test rapide.

Le principe est le même que pour détecter la COVID. On prélève une petite quantité de la substance protéinée qui se trouve sous l’écorce de l’arbre, puis on la plonge dans une substance chimique. Selon la réaction, on sait très vite si l’arbre est touché, car les protéines qu’il produit pour tenter de se défendre contre l’agrile sont tout à fait caractéristiques.

Le chercheur Armand Séguin en forêt, en hiver

Le chercheur Armand Séguin

Photo : Gracieuseté / Armand Séguin / Ressources naturelles Canada

En cours de développement grâce à l’équipe d’Armand Séguin, chercheur scientifique à Ressources naturelles Canada, ces tests pourraient aider à trancher quand viendra le temps de prolonger la vie d’un frêne. Mais à ses yeux, ils sont aussi porteur d’avenir pour tous nos arbres.

Pour le frêne, ce sera difficile de trouver des investisseurs. L'agrile est partout. Aux États-Unis, la propagation est incroyable. Mais la technologie est au point et pourra s’appliquer à d’autres épidémies. C’est le message à retenir. On sait qu’on a la technologie pour développer rapidement quelque chose contre le prochain envahisseur ou la prochaine maladie. On est prêts.

Une citation de Armand Séguin, chercheur scientifique, Ressources naturelles Canada
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